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Taux chaotiques

De la même information (INSEE), les journaux tirent des effets divers.
Du moins, dans ce qui saute aux yeux : les titres

 

L’AFP (23 décembre 1999) annonce "consommation des ménages : baisse de 0,3% en novembre. "Pour Les Echos (24 décembre), ça donne "Hors automobile, la consommation des ménages est restée soutenue en novembre". Comprenez que tout a augmenté, sauf l’automobile (les biens durables), dont le recul a été assez net pour faire reculer le total. Bien sûr, la matière pour ce diagnostic contrasté était dans la dépêche de l’AFP ; mais pas dans son titre. Le titre de La Tribune (même jour) passe résolument par dessus la péripétie de novembre ; "Les ménages ont fortement accru leurs dépenses cette année", ce qu’on trouvait aussi dans la dépêche de l’AFP, mais pas dans le titre. La Croix prend le parti inverse, qui titre "le chiffre : -0,3%", en gros caractères, tout en faisant droit au +3,5 annuel dans l’article qui suit. L’AGEFI a même un titre optimiste : "La consommation fait une pause pour mieux repartir", qu’elle justifie en expliquant qu’il est habituel que novembre soit bas. Bref, si vous êtes un lecteur pressé, l’idée que vous vous faites de la santé de l’économie est fortement aléatoire : en fonction de l’organe qui vous tombe sous les yeux.

Mais, même dans le même journal, il ne faut pas lire trop vite. Le Monde (24 décembre toujours) superpose deux petits paragraphes dont la première ligne, en caractères gras, dit respectivement : "la consommation des ménages en produits manufacturés a fléchi" et : "la production industrielle française a progressé". Un instant, vous vous dites : il y a de la mévente dans l’air ; les stocks doivent être pléthoriques ! Puis, votre œil aborde les caractères maigres et vous découvrez que le fléchissement (de la consommation) a eu lieu en novembre, tandis que la progression (de la production) remontait à octobre. Et, même, que, en octobre, la consommation avait crû, elle aussi, et beaucoup même (2,2%). Entre le raccourci des résumés et les hasards de la mise en page, vous courez des risques certains.

Rendu là, vous vous demandez ce que ce -0,3 qu’on vous brandit peut bien signifier. Pour novembre, il recouvrait des réalités disparates ; et la situation en octobre avait été tout autre. Faut-il renoncer à se faire une idée de l’état instantané des choses et s’en tenir au rythme annuel, moins versatile ? La presse fait grand cas de l’événement ; elle exploite avec bonheur les cahots d’indicateurs heurtés. Ça fait penser à cette histoire belge (les Français disent histoires belges, mais les Wallons les appellent flamandes, tout en relevant que les Français en raffolent… parce qu’elles sont faciles à comprendre) de l’automobiliste qui demande à un ami si son clignotant marche ; et l’autre lui répond "non, il ne marche pas… Ah si, il marche… Euh, non il ne marche pas… Si !".

Tous ces articles rapportent que la progression a été de 3,5% en un an, soit un rythme moyen de +0,3% par mois. Et, que ce -0,3 est intervenu après un accroissement de +2,2 le mois précédent. On a donc de très grandes fluctuations en plus ou en moins autour du rythme moyen. Après ce +2,2 exceptionnel, n’était-il pas fatal d’avoir une baisse ? Celle-ci n’est que le contrecoup du pic d’avant. Il s’agit d’un "non -événement" : pas de quoi en faire des manchettes.

Ce que Molière disait autrement dans Le Misanthrope :

"Dans tout ce qu’il vous dit, on n’entend jamais goutte,
Et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute."

Jean-Pierre Haug

 
Pénombre, Mars 2000