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Chroniques d'outre-nombre

Victor Descombres

N°7 - Février 1998

 

Sans papiers, en nombre

S'il est un domaine où les gens les plus raisonnables perdent souvent le sens de la mesure, c'est bien celui de l'immigration en général et de l'immigration irrégulière en particulier. Les lecteurs... réguliers de cette chronique s'en sont déjà rendus compte. Qu'ils nous permettent d'y revenir...

Dans le quotidien Le Monde du 1er novembre 1997, on lit, à propos des sans-papiers, page10: «Vendredi 31 octobre marque la fin du dépôt des candidatures [à la régularisation] dont le nombre est estimé à environ 150'000. [...]. La place Beauvau annonce déjà une fourchette: 140'000 à 150'000 demandes. On est loin des quelques «400'000 clandestins évoqués, il y a deux ans, par certains députés de droite qui siégeaient dans la commission d'enquête parlementaire sur l'immigration clandestine». Et à la page 18 du même journal, à propos du même nombre: «Il n'a rien à voir avec ceux brandis par l'extrême droite, les 400'000 à 500'000 clandestins que compterait la France, utilisés pour alimenter le rejet des populations immigrées». Non seulement Le Monde perd, d'une page à l'autre, le sens de l'orientation politique en ne sachant plus où est «sa droite» et où est «son extrême droite» mais il perd aussi la mémoire.

En 1996, M. Lionel Jospin, alors premier secrétaire du parti socialiste, estimait que le nombre de clandestins était compris entre 200'000 et 400'000 (France 2, journal de 20h, dimanche 18 août 1996). Cette fourchette n'avait pas choqué Le Monde qui, dans sa livraison du 23 août, reprenait le nombre avancé, en 1991, par le Bureau international du travail (BIT), soit 350'000 pour tenter une comparaison périlleuse avec nos partenaires: Allemagne, [150'000; 600'000] d'après les dirigeants allemands (sic), l'Italie, 350'000 d'après un recensement de Caritas (mais oui), l'Espagne et la Grande-Bretagne ne fournissent pas de données. Et Le Monde d'assurer, péremptoire, «l'existence, chez nos voisins, d'un phénomène de dimension comparable, voire supérieur». On appréciera le «voire supérieur». C'était signé: «de nos correspondants en Europe».

Mais Le Monde a surtout oublié le rapport d'anthologie sur les «fraudes et les pratiques abusives» de messieurs Charles-Amédé du Buisson de Courson et Gérard Léonard, députés.. de droite, remis, en mai 1996, au Premier ministre de l'époque, rapport dans lequel nos duettistes affirmaient l'existence de 800'000 immigrés résidant irrégulièrement en France. Ce qui leur permettait d'en conclure, dans Le Figaro du 9 mai,: «La première des fraudes, les 800'000 étrangers irréguliers qui vivent en France [..] La moitié d'entre eux travaillent. Ce qui veut dire que ces 400'000 étrangers irréguliers qui travaillent irrégulièrement en France coûtent 41,6 milliards de moins-values fiscales et sociales aux recettes publiques».

L'association Pénombre avait écrit à ces deux représentants du peuple, le 19 mai 1996, puis le 11 novembre 1996, pour avoir quelques éclaircissements méthodologiques. On attend encore la réponse... Silence en forme d'aveu. Entendons-nous bien, la procédure de régularisation mise en place ne peut être assimilée à un recensement en bonne et due forme des clandestins car certains peuvent avoir quelques bonnes raisons de se méfier. Mais n'était-ce pas l'occasion pour la grande presse d'information de revenir, sérieusement, sur ce que les uns et les autres avaient pu écrire, noir sur blanc sur le sujet?

«[Notre société] se caractérise par l'alliance de moyens d'information sans précédent et d'une impunité inégalée dans la production de faux (fausses nouvelles, fausses statistiques, faux pronostics). On n'a jamais autant vu de choses ni commis autant de bévues sur le sens des choses. Ce que nous avons gagné en largeur de champ, nous le reperdons en profondeur de temps. Prière aux puissances: donnez-nous moins d'espace, s'il vous plaît, et un peu plus de temps! Moins de direct et plus de suivi!». C'est tiré d'une petit livre intitulé «A demain de Gaulle». Régis Debray en est l'auteur. Si, j'étais vous, je prendrais le temps de le lire. Mais vous faites bien comme vous voulez.

 

V.D

 

Références

Debray (R), A demain de Gaulle, Galimard, Folio-Actuel, n°48, 1990, 1996 (pour l'édition de poche).

Nördlich (A), «40 milliards de francs à l'ombre», Pénombre, La Lettre blanche, n°10, août 1996, p.9.

Pénombre, «Questions à deux parlementaires, lettre ouverte à messieurs Charles-Amédé du Buisson de Courson et Gérard Léonard». Pénombre, La Lettre blanche, n°11, novembre 1996, p.3-4.