L’Hôtel de ville de Paris a-t-il bien mesuré l’ampleur du désastre ?
Spectaculairement, Le Monde annonçait , le 11 octobre dernier : "16 tonnes d’excréments sont abandonnés chaque jour par les chiens sur les trottoirs parisiens", en précisant que "douze sont ramassées par les services de nettoyage de la ville et quatre disparaissent sous les chaussures des piétons". Ces chiffres sont produits à l’occasion de l’habile campagne publicitaire de la mairie de Paris qui vise à montrer concrètement comment l’objet du délit touche les plus vulnérables (enfants, handicapés) afin de culpabiliser quelque peu les propriétaires de chien et réveiller leur civisme.
Le dossier de presse de la mairie a été beaucoup plus fouillé par Télérama qui, dans son supplément Paris daté du 29 septembre, titre "Rendez-nous nos trottoirs", et développe un article apparemment très documenté et grassement illustré par le délicat Tignous. Luc Le Chatelier nous apprend que 76 motocrottes arpentent les trottoirs et ramassent "huit tonnes de déjections canines quotidiennes". Huit tonnes ou douze ramassées chaque jour par nos supermen, un tiers de plus pour Télérama que pour Le Monde. On n’ose pas calculer ce que représente l’écart annuel. Et quant au poids total de 16 tonnes évoqué par Le Monde, il n’est pas dit pas comment sont calculées les "quatre tonnes disparaissant sous les chaussures", d’autant plus qu’elles ne disparaissent pas…nom d’un chien ! Les mêmes étrons ne font-ils pas parfois plusieurs victimes successives ? En plus des spécialistes robocopisés, les autres employés municipaux nettoyant les trottoirs doivent bien en dégager une partie.
Molto scattato
Télérama exploite abondamment les chiffres "officiels" de la mairie. Le journaliste a savamment calculé que chaque motocrotte ramassait 100 kg par jour (8 tonnes divisées par 76). C’est sans doute plus, car il était précisé au début du même article que les motocrotteurs ne travaillaient pas le week-end. On imagine que la récolte du lundi doit être abondante, à moins que les Parisiens aient beaucoup marché pendant le week-end.
Le journaliste, dans son souci du détail, tient à préciser que le kilo de crotte ramassé revient au contribuable parisien à 11 francs, soit "175 francs annuels pour chacun des 200 000 chiens parisiens".
Là, le lecteur attentif ne comprend pas : l’auteur évoque 7 MF de budget annuel consacrés spécifiquement à cette question par la mairie pour 200 000 chiens, ce qui ferait 35 F de dépense annuelle par chien pour le ramassage des crottes. Impossible de déterminer comment il arrive à 175 francs.
Pour aboutir au chiffre percutant du kilo de crotte (on imagine l’étiquette… !), sans doute pour prouver que la crotte vaut beaucoup plus que la nourriture dudit cabot, il a divisé huit tonnes de crottes par sept millions de francs de dépenses par an, inversant le diviseur, mélangeant tonnes et kilos et oubliant de ramener le coût sur les 365 jours de l’année, toujours sous réserve de la question du week-end. Le coût au kilo ramassé "municipalement", si l’on peut dire, s’il a un sens, et selon sa logique, serait un peu inférieur à 2,40 francs le kilo soit : (7 000 000/365) divisé par 8 000.
En quête de savoir instantané, l’auteur va rapidement faire un tour sur Internet à la recherche de sources (enfin un peu de pureté). La dépêche Yahoo confirme le chiffre de 200 000 chiens "qui produisent 6’000 tonnes de déjections par an". Et sur le site de la mairie de Paris, pas de dossier spécial, mais deux textes, dont le premier est celui d’une conférence de presse de Jean Tibéri, tenue le 24 octobre 1997, selon lequel les déjections de 200 000 chiens coûtent 60 MF par an. Le second se trouve dans un dossier "environnement, propreté", qui affirme que " 200 000 chiens produisent 10 tonnes de déjections par jour, que 2 400 km de caniveaux lavés quotidiennement sont à leur disposition, et que malgré cela, 70 caninettes sont nécessaires pour ramasser chaque jour jusqu’à quatre tonnes sur les trottoirs".
Glissando
Récapitulons pour ceux qui n’auraient pas suivi. Sur le nombre de chiens, tout le monde est d’accord pour l’estimer à 200 000 (même si on ne peut savoir la validité de ce chiffre). Le budget municipal consacré au fléau est évalué soit à 7 MF (Télérama), prenant en compte les seules motocrottes, soit à 60 MF par an (mairie). Le poids de crottes, quant à lui, se décompose (sic) en deux : d’une part les crottes faites (6 000 tonnes par an selon la dépêche et Le Monde, 3 650 selon la mairie, combien selon les organisateurs ?) et d’autre part les crottes ramassées, en distinguant celles délicatement aspirées par les motocrotteurs (4 tonnes par jour selon la mairie, 8 selon Télérama, 12 selon Le Monde) de celles nettoyées par les services généraux (6 tonnes par jour selon la mairie, moins ce que ramassent spontanément les chaussures des Parisiens, évoqué par le peu ragoûtant 4 tonnes selon Le Monde).
Est-ce clair pour tous désormais ? Est-ce vraiment utile de fantasmer sur le prix au kilo, ou sur le poids des semelles ?
On pourrait multiplier les calculs, sans en faire des tonnes, mais, si l’argent n’a pas d’odeur, je sens que j’abuse de la fraîcheur du lecteur et moi-même je ne me sens pas très bien.
Surtout, que ces quelques remarques ne paraissent pas réduire l’importance du fléau. La pollution canine est suffisamment visible et insupportable pour ne pas en rajouter.
Pour le reste, glissons…
Jean-Paul Jean
Pénombre, Décembre 1999