"Ici, pas question de statistiques", prévient Michel Holtz en ouverture de son article "Tableau de la France sous Ecstasy" dans Libération du 15 octobre. Louable liminaire pour un texte qui porte en effet sur une approche ethnographique de la question, qui ne contient aucun chiffre ennuyeux et fournit de nombreuses informations "qualitatives". Ainsi apprend-on qu’entre ecstasy et cannabis, "les dealers sont bien souvent les mêmes, ils circulent dans les raves et vivent dans les cités", mais il ne faut pas être tenté de généraliser. Un peu plus loin, le témoignage de M, "27 ans, d’origine maghrébine, sans emploi", nous est présenté. Cette description issue d’une galerie de 163 portraits matérialise donc l’usager-type. Elle illustre, par le visage de ce M qu’on garde en mémoire, combien le terrain est glissant entre observation et inférence et combien il est délicat d’articuler données quantitatives et qualitatives sans faire passer ces dernières pour les résultats de typologies raisonnées.
Mais là n’est pas notre propos. Cet article est accompagné d’un encart évoquant cette fois une enquête dont on ne sait rien sinon qu’elle est du Crédoc. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une observation en population générale puisqu’on y apprend que "17% des [15-25 ans] pratiquent plus souvent que les autres un style de fête qui se passe rarement d’alcool et de stupéfiants". Qui sont donc ces fameux "autres" et comment interpréter la valeur de ces 17% annoncés ? A lire ce genre de phrase, on se réjouit avec l’auteur que dans le reste de l’article, il ne soit en effet pas question de statistiques… D’après cet encart, ces jeunes se composent de "déstabilisés" d’une part, et "d’hédonistes" d’autre part. Parmi ces derniers, "70% usent de drogues douces", mais qu’est ce qu’une drogue douce dans un contexte où l’alcool et le tabac sont devenus des drogues, où la dangerosité propre de l’ecstasy n’est pas définitivement avérée et où certains chercheurs ont mis en évidence l’existence de pratiques d’usages "durs" de cannabis ? Et que signifie le verbe user dans le cadre d’une enquête en population générale, dont les indicateurs sont plus souvent des mesures de l’usage expérimental ou occasionnel ? Peut-on dire par exemple d’un fumeur qui n’a pas consommé au cours des douze derniers mois qu’il use de cannabis ?
François Beck
Pénombre, Décembre 1999