Voulant sans doute déplacer le projecteur des étrangers en situation irrégulière dont il venait d’être question au cours de l’émission vers la fraude "des gros" qui coûte cher "aux petits", l’auteur n’a pas résisté lui non plus au raccourci magique des 50%.
Le propos rapporte l’ensemble des fraudes au seul impôt sur le revenu. C’est bien sûr une fiction fiscalement inexacte qui en cette période de déclaration fiscale fait mouche. Admettons cependant les choix du numérateur et du dénominateur et le si….
La recette fiscale provenant de l’impôt sur les revenus se monte à 450 milliards de francs en 1995 ; une fraude fiscale de 50% ce seraient donc 225 milliards de francs d’impôts non perçus.
S’agit-il de la fraude constatée ? A l’évidence non. A l’issue de l’ensemble des contrôles 56 milliards de francs ont été rappelés pour 1995, soit 12,5% de l’impôt sur le revenu (pour conserver le raisonnement de l’auteur).
Le participant à l’émission pensait sans doute à la fraude estimée. Le montant en serait donc quatre fois celui de la fraude constatée. C’est factuellement approché. Donnons deux exemples d’estimation de la fraude.
Sur la base d’enquêtes fiscales (assez anciennes) la fraude a pu être estimée, par le Cesdip, à 160 milliards soit 36% des rentrées de l’impôt sur le revenu (1991). Le Syndicat national unifié des impôts évalue l’ensemble de la fraude à 195 milliards de francs, soit 46% des recettes fiscales provenant de l’impôt sur les revenus. Nous sommes presque à 50%.
En matière de fraude estimée il n’y a évidemment pas de chiffre arithmétiquement exact. Il n’y a que des estimations plafonds ou planchers, des quotas, des fourchettes et autres litotes pour dire que l’on propose une évaluation dont les choix de paramètres seront souvent peu explicités.
Comment peut-on évaluer les revenus non déclarés ? L’évaluation de la fraude fiscale peut reposer sur différentes approches : enquêtes fiscales auprès d’un échantillon, extrapolation des résultats du contrôle fiscal, comparaison entre informations fiscales et économiques.
On peut ainsi par exemple comparer les revenus selon deux sources différentes. C’est la démarche du Conseil des impôts en son onzième rapport. La fraude en matière de revenus est comprise dans l’écart qui sépare le montant des revenus tiré de la comptabilité nationale (4000 milliards) et celui des revenus déclarés (2800 milliards). Cet écart recouvre des différences de définition et de la dissimulation. Mais pour quelle part ?
Toutes les sous-déclarations sont-elles de la fraude ? Le propos radiophonique relevé suppose à l’évidence que tout impôt éludé est de la fraude. En cette matière le curseur se déplace souvent en fonction de ce que l’on veut prouver. Ainsi Ch. de Courson et G. Léonard, par exemple dans leur rapport sur les fraudes et pratiques abusives font preuve d’une conception très restrictive de la fraude fiscale (limitée aux sous-déclarations entraînant des taux de pénalité supérieurs à 50%) et par contre d’une évaluation très extensive du travail illégal de l’immigration clandestine (50% des étrangers en situation irrégulière ont recours au travail illégal, soit 400000 personnes d’après eux). Ils obtiennent ainsi un coût du travail illégal estimé à plus de 150 milliards de francs alors que le montant de la fraude est évaluée à 15 milliards pour l’impôt sur le revenu et à 56 milliards pour l’ensemble des impôts.
Ils ont utilisé le quota magique de 50% pour une estimation tout aussi arithmétiquement fausse.
Thierry Godefroy, économiste
Cnrs/Cesdip
Pénombre, Décembre 1998