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Editorial

"La lumière sans ombre n’appartient qu’aux anges"
Ernst Jünger
 

Bernard K. est un homme heureux. Passionné de football, il ne s’est pas encore remis de la victoire de ses idoles - "les premiers du monde". Chirurgien à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris, il lui arrive encore d’opérer en chantonnant I Will Survive.

Mais un bonheur n’arrive jamais seul. Spécialiste de la chirurgie intestinale, il vient de découvrir, à la lecture du numéro de Sciences et Avenir de septembre, que son établissement a été classé 1er de France (ex aequo avec le CHU de Montpellier), pour ce type d’intervention. Avec un indice d’activité de 130, un indice de mortalité "standardisé" de 0,12 et une notoriété de 70%, il a obtenu 18,84 sur 20. Bernard trouve tout de même un peu fort que ses collègues de Montpellier aient obtenu exactement la même note avec une mortalité près de quatre fois plus élevée (indice de 0,42) et une notoriété vraiment "pas terrible" (43%). Cette bizarrerie a de fait modéré son enthousiasme.

Bernard et Françoise ont un garçon et deux filles qui ont toujours eu des résultats scolaires satisfaisants. Mais depuis qu’ils ont lu dans le Nouvel Obs du 1er mars dernier (page 18) que le lycée de leurs enfants avait été classé 1er sur 2334 (lycée Carnot), ils ne se font vraiment plus aucun souci. Et puis pourquoi s’angoisser en pensant à l’avenir de leur progéniture quand on habite la région la plus riche d’Europe. L’INSEE n’a-t-il pas classé l’Île-de-France en tête des 196 régions de l’Union européenne avec 2178 milliards de francs, loin devant la Lombardie, classée deuxième, avec seulement 1416 milliards (Le Monde du 14 août) ?

Bernard dont le cœur ne cesse de balancer entre le Président (quelle classe !) et le Premier ministre (quelle compétence, et en plus honnête !) s’étonne qu’il y ait toujours tant de pessimistes dans notre pays : en juin dernier 58 pessimistes contre 42 optimistes (Le Parisien du 10 juin).

Encore n’avait-il pas lu, quand nous l’avons rencontré, le rapport du PNUD (programme des Nations unies pour le développement) publié le 9 septembre. Ce rapport a classé 174 pays en prenant en compte non seulement le produit intérieur brut par habitant, mais aussi d’autres critères comme la longévité et le niveau d’éducation. C’est ce que le PNUD appelle "le développement humain". Tout un programme. Eh bien, en développement humain, la France est vice-championne du monde, juste derrière nos cousins du Canada (Le Monde du 10 septembre).

I Will Survive…

 
Pénombre, Décembre 1998