Imaginez un groupe de personnes, ou de pays, qui cherchent un compromis pour adopter une ligne de conduite commune. Les désirs de chacun ne pourront être entièrement satisfaits ; après des discussions pendant lesquelles certains auront tenté de rallier les autres à leurs vues, supposez qu’un accord soit trouvé sur les points qui conviennent à tous. Il y aura presque sûrement alors quelqu’un pour dire : « l’accord s’est fait sur le plus grand dénominateur commun », et, complice : « oui, vous savez, le PGCD de notre enfance... »
La recherche des éléments qui peuvent satisfaire chaque partie s’apparente à la recherche de diviseurs communs à des nombres entiers, et il est naturel de tenter d’en associer le plus possible ; on est donc tout près de l’idée de « plus grand commun diviseur », le PGCD, en effet. Mais puisqu’il s’agit de s’accorder, il est impensable d’utiliser dans ce cas le mot « diviseur ». C’est alors que nostalgie et confusion se donnent la main pour aller chercher un autre grand classique des écoliers : la réduction au même dénominateur. Réduire des fractions, en somme réduire des divisions, on est bien là, c’est vrai, dans un registre diplomatique. Pour réduire des fractions à un même dénominateur, on cherche un multiple commun à tous. Et celui qui simplifie les calculs est le plus petit : le PPCM. Cependant n’importe quel multiple de ce nombre convient aussi, il n’y a donc pas de plus grand dénominateur commun, il y en a un plus petit. Mais « le plus petit », cela ne convient pas pour qualifier le meilleur accord possible.
Le langage courant a donc donné naissance à un être hybride, le « plus grand dénominateur commun », qui n’est arithmétiquement pas viable. Est-ce inconsciemment pour signifier que, souvent, ces compromis eux-mêmes sont hélas bien fragiles ?
Françoise Dixmier