Le suivi de l’immigration mobilise nombre de services administratifs d’ailleurs plus ou moins prompts à publier leurs productions. Chacun observe selon sa compétence administrative tout ou partie des entrées d’étrangers. La presse invitée se fait régulièrement l’écho de comptes parfois étranges. Nous nous attardons aujourd’hui sur un seul chiffre rendu public par l’Office des migrations internationales (OMI) lors d’une conférence de presse du 11 octobre 1993 sur le niveau de l’immigration en 1992.
Que me comptez-vous là ?
De la lecture des titres de la presse du matin 12 octobre 1993, nous apprenons par le Figaro que "Ces étrangers qui travaillent en France" ont été "36 000 hors CEE en 1992" ; par Libération que "Le nombre d’étrangers non CEE venus travailler en France a chuté" ; par Le Quotidien "Davantage de travailleurs étrangers en France".
Plus, moins, serait-ce au choix ? Une lecture attentive s’impose. Les chiffres auxquels il est fait référence dans les différents articles sont les mêmes, ce qui ne manque pas de laisser perplexe sur la teneur des titres. Que sont ces chiffres ?
Variations... mais variations de quoi ?
"En 1992, 36 000 étrangers hors CEE sont entrés en France pour y travailler, contre 76 335 en 1991 (soit - 52%)." Cette première phrase semble précise dans ses définitions, il s’agit d’étrangers, non ressortissants d’un pays de la CEE, venus en France pour travailler ; ils ont été moins nombreux de 52% en 1992 qu’en 1991. Libération a donc raison ?
La phrase suivante, explicative de cette diminution nous apprend quelle est imputable à l’accès à la libre circulation des ressortissants espagnols et portugais depuis le 1er janvier 1992. Autrement dit, les entrées des Espagnols et des Portugais qui étaient comptabilisées par l’OMI en 1991 puisque ces deux nationalités ne bénéficiaient pas du régime de libre circulation ne l’étaient plus en 1992. Bien entendu, ceci ne veut pas dire qu’Espagnols et Portugais ne sont pas venus travailler en France en 1992, mais simplement que l’OMI qui n’intervient pas dans la procédure d’entrée des travailleurs ressortissants d’un pays de la CEE ne les enregistre plus à partir de 1992. Il ne s’agit donc pas de baisse de l’immigration des travailleurs mais de changement de statut des travailleurs de deux nationalités qui se traduit par une modification de l’activité d’un service administratif qui seule est ici mesurée.
Dans ce cas, pour atteindre l’immigration "zéro" il suffirait de décider de ne plus compter aucune entrée !
En fait, l’année 1992 a enregistré un nombre d’entrées d’étrangers appelés à résider en France supérieur à ce qu’il était en 1991. Ces entrées ne concernent pas les seuls travailleurs. Ces faits vous seront comptés plus tard..
Christiane Ducastelle
Pénombre, Mars 1994