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De la prévision du passé faut-il faire table rase ?

La dépêche d’agence de presse présentant les estimations d’un indicateur économique par un panel d’experts est un grand classique, prisé des opérateurs de marché qui en sont les utilisateurs privilégiés. Quelques points de repères peuvent être utiles pour situer l’information ainsi délivrée. Les experts des panels sont pour l’essentiel des économistes travaillant dans les services d’études d’institutions financières ou des économistes de marchés. Leur expertise vise à aider les opérateurs intervenant sur les marchés financiers.

L’expertise des économistes des services d’études repose en général sur des scénarii d’évolution macroéconomique qu’ils mettent au point pour les différents pays suivis. Sollicités par les médias spécialisés, mais surtout dans les publications (payantes) à destination de leurs clients, ils donnent leurs prévisions et d’éventuels commentaires quant à l’évolution des principaux indicateurs macroéconomiques (production, inflation, comptes extérieurs). Rarement, mais c’est le cas des services d’études à la déontologie professionnelle la plus affirmée, ils re-publient leurs prévisions en regard des indices officiels devenus disponibles, éventuellement en commentant les écarts constatés et les conclusions qu’ils estiment devoir en tirer.

Les utilisateurs de leur expertise, dont ces prévisions font partie, sont les personnes qui cherchent à anticiper ou porter un jugement sur les évolutions des marchés où ils ont des placements ou ils sont susceptibles d’en faire. Anticiper correctement signifiera maximiser ses gains ou minimiser ses pertes en prenant la bonne décision avant les autres participants du même marché. Bien apprécier la signification d’un indice permet de prendre une bonne décision sur un marché au moment où tous les intervenants de ce marché peuvent être tentés de modifier leurs engagements.

 

Recherche prévision

En fait, les experts sont donc sollicités quelques jours avant la publication d’indices officiels pour aider les marchés à anticiper ces indices officiels et à pouvoir éventuellement rapidement interpréter les causes des écarts entre l’indice attendu par les experts et l’indice effectivement calculé. Les opérateurs du marché considèrent qu’ils ont ainsi une information pour agir au mieux de leurs intérêts.

Ainsi, la prévision recherchée n’est pas vraiment l’évolution économique intervenue de façon à aider l’intervenant dans l’économie réelle. Il s’agit en fait d’avoir une prévision de l’indice qui va être officiellement publié, en vue d’aider l’opérateur de marché financier à maximiser la rentabilité de ses placements financiers. C’est ce qu’illustre le contenu d’une dépêche de presse, que les citoyens vivant dans le monde de l’économie réelle sont en droit de juger surréaliste, affirmant : " Paris, 17 janvier 2001, Les analystes du panel AFP estiment que la production industrielle en France a augmenté de 0,3 % en novembre 2000 par rapport à octobre… "

Plus un économiste aura la réputation de faire de bonnes prévisions d’indices permettant à ces clients de bien anticiper leur action sur les marchés, plus sa banque aura de clients. Bien évidemment la prévision de l’évolution d’indicateurs, mensuels ou trimestriels, est un exercice assez aléatoire. Il s’avère donc que souvent, les prévisionnistes des institutions financières cherchent à ne pas se tromper plus que les autres, ce qui conduit la profession à un comportement relativement moutonnier en terme d’annonces, minimisant les risques d’erreurs par rapport aux collègues. Les marchés sont ainsi incités à emboîter le pas en terme de choix d’investissements à partir d’une information monocolore. Les sur-réactions du marché ont donc toutes les chances d’être récurrentes. On constate cependant des comportements différents de certaines institutions qui pour certains pays et certains indicateurs se démarquent régulièrement pour se faire remarquer avec le risque de se planter mais selon une stratégie qui permette de faire parler de soi, ayant à l’esprit le bon escient… commercial.

À l’autre bout de la chaîne de ces exercices de prévisions à destination des opérateurs de marchés financiers se produiront des drames sociaux absurdes au vu des conditions réelles dans l’économie réelle. Mais, chacun aura la bonne conscience d’avoir fait au mieux, en bon professionnel, le travail qu’on attendait de lui… Cherchez l’erreur !

Jee Airesse

 
Pénombre, Avril 2001