--

Editorial : Des milliers par myriades

Signe ce que tu éclaires, non ce que tu assombris.
René Char

 
Lu chez Alexandre Vialatte :

" […] Nous comptons par millions, billions (milliers de millions), trillions (ou milliers de billions), quadrillions (millions de trillions), etc. ; et nous appelons milliard le millier de millions : notre milliard et notre billion sont synonymes. Les Allemands comptent par millions (égaux aux nôtres), billions (ou millions de millions), trillions (ou millions de billions), etc. ; quant à " milliard ", ils l’emploient pour désigner le millier de millions. Il en résulte qu’on peut traduire les mots allemands, million, milliard, par million, milliard en français et aussi par billion, (il s’agit du milliard) ; mais que le billion doit se traduire par trillion et trillion par million de trillions, autrement dit par quintillion. Et le décalage s’accentue à mesure que les chiffres avancent. Si on ne respecte pas cette règle, on s’expose à parler de la Lune quand il s’agit de la Voie Lactée. […] " 1

Ouf… C’est bien compliqué, au point que notre cher auteur, un peu dans la Lune ou dans la Voie Lactée, désigne le million de trillions par quintillion, alors qu’il ne s’agit que d’un modeste quatrillion. Heureusement, ce charmant imbroglio n’est plus d’actualité, cette chronique a dû être écrite avant-guerre ; depuis, les choses ont changé. Le décalage entre le français et l’allemand n’existe plus : le billion français n’est plus synonyme de milliard, mais représente un million de millions (un millier de milliards), le trillion, un million de billions, le quatrillion, un million de trillions, etc. Petite fantaisie tout de même de nos cousins germains, qui utilisent aussi, en plus du milliard et du billion, le billiard, qui représente mille billions ou un million de milliards…

Les choses ne sont pourtant pas simples pour autant, car il faut compter avec nos amis anglosaxons, plus précisément avec les Américains (les Anglais, pour une fois, ayant la même vision des choses que les continentaux !) pour qui, un billion représente un milliard, un trillion représente un billion européen, un quatrillion, un trillion européen etc. Comme l’américain tend à devenir l’idiome des organismes internationaux, il ne faut pas s’effrayer quand la United Nations Organization nous annonce que dans vingt ans nous serons " eigth billion humans ", cela ne fait jamais que 8 milliards d’humains.

C’est sûrement déjà cette triste relativité des choses que pointait un célèbre mathématicien quand il disait : " vérité au deçà de l’Atlantique ( !), erreur au-delà "…
 

1. A. Vialatte, Chroniques des immenses possibilités, Julliard, 1993, Où sont les lunes d’antan, page 107.

 
Pénombre, Avril 2001