Dominique Monjardet nous a quittés le 24 mars dernier, au moment où la Lettre précédente était sous presse. Chercheur au CNRS, sociologue du travail, spécialiste de la police, il portait un regard critique et amusé sur l’usage des chiffres en général et sur les chiffres policiers en particulier. Sa douloureuse disparition lève le voile sur un de ses pseudos (il proposait aussi des textes pour la Lettre sous son nom). Pierre Demonque et lui ne font qu’un. Adhérent de Pénombre dès la première heure et cotisant fidèle pendant quatorze ans, de 1993 à 2006 (peu d’adhérents entrent dans cette classe), il avait proposé son fameux théorème en 1994 : « Sur une courte période, les statistiques de la délinquance varient en proportion inverse de la popularité du ministre de l’Intérieur auprès des agents chargés du collationnement des données qui les fondent ». Ce n’est bien sûr ni un théorème (mais une observation faite avec une certaine constance quand même en comparant les résultats de la police et de la gendarmerie), ni une preuve définitive d’invalidité de la statistique administrative. En ces temps de Lolfmania et de culture du résultat, il n’est pas certain que les agents aient encore le choix : les indicateurs de performance ne leur laissent plus l’opportunité d’exprimer un soutien ou une réserve vis-à-vis de leur ministre. Demonque aurait sans doute révisé le théorème en conséquence. Et l’aurait fait avec l’esprit qui nous convient bien.
Comment dire autrement ? Demonque, tu nous manques.
B.A. de C.
Pénombre, Juillet 2006