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Deux cent trente-cinq portes

La fréquentation de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies ayant accentué ma méfiance vis-à-vis des produits psychoactifs, j’occupe mes périodes d’insomnie hebdomadaires à une activité ludique fondée sur le nombre 235. Les règles du jeu sont simples : imaginez un grand château, vous devez parcourir toutes les pièces sans passer deux fois par la même, et il y en a 94 réunies par 235 portes. La pièce de départ et la pièce d’arrivée sont imposées, il y a donc 4 371 façons différentes de poser le problème si l’on considère comme équivalent d’aller par exemple de la pièce 5 à la 65 ou de 65 à 5 (94 x 93 / 2), mais je suis incapable de calculer le nombre de solutions possibles car les relations topographiques entre les pièces ne correspondent pas à une géométrie simple. Dans ce château une pièce a au moins deux portes, mais elle peut en avoir jusqu’à 10. Il y a probablement plus de 100 000 trajets possibles.

Énoncé de cette façon le jeu semble impossible, on ne peut mémoriser la relation de 94 pièces et le chemin suivi. Il faut associer aux 94 nombres deux caractéristiques mémorisables (un identifiant et le classement dans la série), c’est la technique pour les calculateurs capables d’extraire une racine cubique d’un nombre d’une dizaine de chiffres en un temps très court. J’ai commencé à jouer en me promenant à travers les 94 départements continentaux français. Je décidais par exemple de partir de la Nièvre et de finir dans les Alpes-Maritimes, ou une autre nuit d’aller du Finistère jusqu’au Tarn. Vous verrez qu’il n’y a que 10 combinaisons impossibles sur 4 371. Par exemple vous ne pouvez démarrer d’Amiens et arriver à Laon, car il vous serait impossible de passer par le Nord et le Pas-de-Calais (interdiction de prendre un bateau et de passer une frontière !). Ayant parcouru tous ces départements à vélo, j’ai une bonne connaissance de leurs relations, mais il m’a fallu quelques révisions. Allez savoir que le Var a une frontière avec le Vaucluse et qu’il est donc impossible de passer des Bouches-du-Rhône vers les Alpes-de-Haute-Provence, ou que le Cher touche la Creuse, barrant la route directe pour aller de l’Indre à l’Allier. Le problème est que je fais maintenant ces parcours un peu trop facilement (moins de cinq minutes), j’hésite entre l’extension du problème aux arrondissements ou l’utilisation des Etats-Unis !

Claude Got


Pénombre, Juin 2005