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Dialogue de sourd

Un collègue plus âgé que moi, professeur d’EPS (éducation physique et sportive) et expérimenté comme on dit, reprend depuis peu une thèse sur les usages de l’audiovisuel dans le monde sportif. Parce que je suis rompu à l’utilisation d’un logiciel de traitement d’enquête, il me sollicite pour lui donner quelques explications. Le dialogue est ici reproduit de mémoire :

- Bon alors j’ai recueilli 72 questionnaires sur un envoi de 250 environ.

- Ah, en dehors de la question de la représentativité, il faudra veiller à ne pas abuser des pourcentages compte tenu de l’effectif restreint.

- Tiens pourquoi ? Un pourcentage reste un pourcentage, c’est un rapport non ?

- Bien sûr mais c’est faux d’utiliser des pourcentages pour un si petit effectif d’autant que tes questions comportent le plus souvent de nombreuses modalités, ce qui contribue à diluer les effectifs.

Là, pour mon grand malheur, mon collègue était issu d’une formation scientifique et bien entendu l’usage du terme « faux » était… faux (ah les libertés de l’oral !).

- Qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas faux du tout. Prenons des oranges pour faire simple. Si tu as deux oranges, et l’une d’entre elles est pourrie, ce n’est pas faux du tout de dire que 50 % des oranges sont pourries, oui ou non ?

- Bah oui.

- Alors ?

- Alors… Alors, ça me paraît plus juste de dire, si tu as deux oranges, que l’une d’entre elles est pourrie, que si tu as dix oranges, une sur deux est pourrie, et si tu en as cent, là tu peux effectivement affirmer que 50 % d’entre elles sont pourries. Les descripteurs sont mieux ajustés à la réalité dans chacun des cas.

- N’empêche ça fait 50 % de pourries, même avec deux.

- Oui, mais tu n’induis pas la même compréhension de la réalité. Dans le premier cas, une des deux oranges est pourrie, si tu as commis une erreur de dénombrement, le poids de cette erreur est considérable. Autrement dit, plus la quantité est grande, moins le poids de l’erreur d’unité est important.

- Oui, mais mathématiquement ce n’est pas faux de dire que 50 %…

- Non ce n’est pas faux. Il reste que si un commerçant a l’une de ses deux oranges effectivement pourrie, je ne lui en tiendrai pas rigueur, ça arrive. S’il a une orange sur deux de gâtée sur les dix de l’étalage, je me réserve le droit de me méfier, mais s’il en a 50 % d’abîmées sur une grande quantité, là je commence à me dire que c’est un escroc, ce sont des oranges mûries sous serre à contre-saison et j’appelle tout de suite Jean-Pierre Coffe, ce sera bien fait ! Selon le rapport que tu choisis, tu n’induis pas la même compréhension de la réalité, et le choix n’est pas toujours judicieux à défaut d’être faux.

- N’empêche, c’est pas faux…

Là, nous avons cessé le dialogue, que pouvais-je ajouter ? Avis aux amateurs, la réponse ne m’appartient plus. Pénombre saura peut-être nous éclairer ? En attendant, mangeons des pommes 

Sébastien Fleuriel, sociologue

 
Pénombre, Juillet 2002