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Editorial : À propos de turpitude

Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens. Mais, dans l’œil du vieillard, on voit de la lumière.
Victor Hugo, « Booz endormi »

 

Ces jours derniers, des gens « bien propres sur eux » nostalgiques du régime nazi ont défilé, dans la ville où je suis née (Vienne, Autriche). Combien étaient-ils ? Je ne sais pas. Je sais que cette manifestation n’aurait pas dû être. Mon pays d’adoption, la France, vient d’accorder 5,5 millions de voix, lors des élections présidentielles, au représentant d’un parti xénophobe et raciste. Le pays de la trilogie « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Peut-être est-ce l’occasion de rappeler que, dès l’origine, Pénombre repose sur un projet éthique. Certes, nous voulons contribuer, par nos analyses, nos échanges, par notre intelligence collective à l’amélioration du débat public et participer ensemble à la vie démocratique de notre pays, mais nous avons aussi l’ambition d’améliorer nos propres façons de faire, dans la cité.

Aussi, certains parmi les nouveaux adhérents de Pénombre se posent-ils, peut-être, des questions sur la devise de Pénombre, empruntée aux juristes, qui figure en quatrième de couverture de la Lettre blanche : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » que notre traductrice officielle, Helen Arnold a traduit, en anglais, dans le numéro 26 – spécial Séoul – par « one’s own turpitude is never something to boast of ».

Pour éclairer nos nouveaux amis et surtout ceux qui pourraient le devenir, ne devrait-on pas reproduire de temps en temps, dans la Lettre blanche – une fois tous les neuf ans par exemple – le préambule aux statuts de notre association qui date de septembre 1993 : « Que Pénombre soit ! ». Il permet de comprendre de quelle turpitude il est question et quelles sont les armes des Pénombriens pour la combattre. Le Colonel qui a cette vilaine habitude de lire par dessus mon épaule quand je suis devant mon ordinateur me propose une traduction à lui de notre devise. À lui, si l’on peut dire. J’ai évidemment reconnu un aphorisme de l’ami Arthur [Schnitzler, ndlr] : « Tu dois me prendre comme je suis, dit le tigre en s’apprêtant à bondir. Toi aussi dit le chasseur en l’abattant d’un coup de fusil. ».

Arthur est décédé en octobre 1931. Ayant dû fuir mon pays devenu fou, j’étais en France depuis le mois de juillet. Deux ans plus tard, j’obtenais la nationalité française.

Soyons vigilants.

Votre dévouée Clara Halbschatten,
professeur de mathématiques en retrait(e)

 

NDLR : C’est bien volontiers, que nous acquiesçons à la proposition de notre amie Clara, encore que, à la relecture, le lien entre ce texte et la devise de Pénombre ne saute pas aux yeux. 

 

 
 
 
Pénombre, Juillet 2002