Jean-Pierre Brissaud, statisticien, nous a envoyé un courriel dans lequel il estime que l’OMS se trompe en mesurant les risques des phénomènes et les « rapports des risques », plutôt que les sécurités, c’est-à-dire les probabilités d’échapper aux risques et les « rapports des sécurités ». Il nous dit : « Par exemple un risque multiplié par 1 000, passant de 1/1 000 000 à 1/1 000, ne veut rien dire, puisque le rapport des sécurités n’est pratiquement pas modifié 0,999 999/0,999. Or, c’est le rapport des sécurités qui constitue le critère rationnel. »
Voici deux premières réactions :
En France le taux de mortalité infantile, qui est la probabilité de décéder durant la première année de vie, est de l’ordre de 5 pour 1 000 (0,005). Supposons que ce taux monte à 5 pour 100 (0,05). Cela ferait une multiplication par 10, soit une augmentation de 900 % (0,05/0,005) : c’est énorme. La probabilité d’échapper à cette mort précoce passerait donc de 0,995 à 0,95, soit une multiplication par 0,955, une baisse de moins de 5 % : c’est peu. Supposons alors que le gouvernement dise : « Nous ne ferons rien, car la diminution de la probabilité d’échapper à ce risque est trop faible compte tenu des moyens qu’il faudrait engager pour revenir à la situation antérieure. » Imaginez les réactions des futures mères !
L’utilisation de la variation du risque plutôt que celle du non risque est donc tout à fait justifiée. Cela étant, cette variation dépend de la valeur initiale (ou de référence). Supposons une probabilité annuelle de décéder de 0,49, que l’on peut trouver aux âges supérieurs à 100 ans, qui monte à 0,98 : on passerait d’une probabilité très forte à une presque certitude de décéder. Et pourtant il n’y aurait qu’un doublement du risque, alors que le taux de mortalité infantile pourrait connaître des variations relatives considérablement plus fortes.
Alfred Dittgen
Vu par l’autre bout, sur un sujet qui m’est cher : la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances). Pour le sauvetage en mer, les CROSS (Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage) se donnent pour objectif pour les prochaines années de ramener saines et sauves au moins 97 % des personnes secourues, alors que, bon an mal an, ils en ramènent 98,5 % (chiffre assez stable). Dit comme ça, ça ne choque guère. Si on le dit autrement : « les CROSS s’autorisent à doubler le taux de personnes non ramenées saines et sauves », ça peut choquer les âmes sensibles... et pourtant, c’est mathématiquement la même chose.
Risque relatif, risque absolu (combien de victimes au juste, en chiffre absolu ?), sécurité relative ou absolue, il n’y a pas à mon avis une seule manière de chiffrer les choses (« le critère rationnel »), mais il faut quelquefois plusieurs approches pour se faire une idée : selon que le « 1/1000 » porte sur 100 personnes ou sur 65 000 000, on ne pensera pas forcément la même chose du phénomène...
Jean-René Brunetière