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Éloignements : les coûts s’envolent

Certains lecteurs ont attiré notre attention sur cette question parlementaire et sur la réponse qui lui a été apportée. Le style politico-administratif a de quoi émouvoir la sensibilité de certains militants associatifs. La façon dont les nombres sont présentés retient ici notre attention.

Question parlementaire écrite, Journal officiel du 24 novembre 2009, page 11075 :
« M. Bernard Carayon attire l’attention de M. le ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire sur le coût de l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière en 2010. Le coût de 2009 (1 954 euros), basé sur le prix moyen du transport, n’intègre ni le coût des billets de l’escorte, ni les dépenses en personnel, ni le coût de fonctionnement des centres de rétention administrative, ni le coût de police et de justice. Il lui demande de procéder à une évaluation réaliste du coût des reconduites à la frontière. »

Réponse du Ministre, Journal officiel du 3 mars 2010, page 3409.
« La dépense afférente à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière est répartie sur plusieurs programmes ministériels et, par voie de conséquence, une centralisation des données pour permettre d’effectuer le calcul du coût global de la rétention est difficile. Pour le ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, en 2008, le coût moyen par retenu s’est élevé à 3 380 euros par nuitée sur la base d’une durée moyenne de séjour en rétention de dix jours. (…) Toutefois, le ministre de l’Immigration, de l’Etc. partage le constat de l’honorable parlementaire que ces montants ne donnent pas une vision complète du coût des reconduites à la frontière. C’est pourquoi, compte tenu des divergences apparues dans les chiffrages, le ministre s’est engagé, lors de son audition du 1er juillet 2009 par la Commission des finances du Sénat, à demander une étude approfondie à l’Inspection générale de l’administration (IGA) et à rendre compte, à l’automne, du résultat de ces travaux. (…) D’une manière globale, la mission de l’IGA estime le coût global de la politique d’éloignement à 32 millions d’euros, sans compter les coûts afférents aux différentes juridictions qui n’ont pu être évalués, soit un montant par reconduite de l’ordre de 12 000 euros. Mais, comme le relève l’IGA, rapporter le coût global au nombre d’éloignements présente l’inconvénient de faire peser l’ensemble des coûts sur le seul maillon final de cette politique, alors que les ressortissants étrangers en situation irrégulière peuvent être interpellés, voire placés en rétention, sans être finalement reconduits. Un parallèle peut être établi avec les coûts de la politique judiciaire, qui ne peuvent être rapportés aux seules personnes effectivement condamnées. Ce constat conduit l’IGA à proposer deux autres méthodes de calcul d’un coût moyen : soit un coût moyen calculé par rapport au coût moyen des trois principales phases du dispositif (interpellation, placement en centre de rétention administrative – CRA – et reconduite) qui s’élève alors à 6 300 euros ; soit un coût moyen de parcours types, qui ressort à 5 130 euros pour une reconduite sans escorte et 11 150 euros avec escorte. L’IGA détaille également les trois types de coût constitutifs de la reconduite : des coûts fixes, correspondant principalement au coût d’infrastructures et de fonctionnement des CRA, évalués à 82 millions d’euros ; des coûts semi-variables, constitués essentiellement des dépenses de rémunération des personnels se consacrant à cette politique, estimés à 90 millions d’euros ; des coûts variables, notamment consacrés aux dépenses de billetterie aérienne pour les personnes reconduites et aux dépenses d’alimentation et de santé dans les CRA, estimés à 60 millions d’euros. Il peut enfin être observé qu’une analyse du coût de la politique d’éloignement devrait s’accompagner, pour être totalement rigoureuse, d’une évaluation des conséquences et du coût pour le pays d’une politique de maintien systématique des étrangers en situation irrégulière en France. »

Quelques informations complémentaires

Pour éclairer nos lecteurs (et ceux du Journal officiel) précisons que l’argumentation de l’IGA repose sur l’effet de pyramide inversée suivant : en 2008, selon le rapport annuel du Comité interministériel de contrôle de l’immigration, on dénombrait 19 724 éloignements dits forcés et 10 072 éloignements dits retours volontaires (ou « retours aidés »), soit un total de 29 796 éloignements. Le nombre de reconduites forcées à la frontière après rétention administrative était de 14 411, ce qui représentait moins de la moitié des placements en rétention (le « maillon final » ?), soit 34 592 en métropole. En amont, il a été prononcé en 2008 un peu plus de 100 000 mesures d’éloignement (101 380) et la part de ces mesures non exécutées reste donc très importante. Les services de police et de gendarmerie ont interpellé 115 500 étrangers pour infraction au séjour sur le territoire français.

Le raisonnement de l’IGA consiste à calculer un coût moyen par étape rapporté au flux concerné. Il n’en demeure pas moins que, tel qu’il fonctionne, le système appliqué actuellement en France implique l’arrestation d’environ sept étrangers en situation irrégulière pour parvenir à un éloignement forcé après rétention.

On peut se demander quand même comment M. Bernard Carayon aura expliqué à ses électeurs, sur la foi de cette réponse, qu’avec une dépense de 82 millions d’euros rien que pour les CRA, la politique d’éloignement entraîne un coût global de 32 millions pour le contribuable. C’est une coquille évidemment (32 au lieu de 232), mais reproduite avec constance par tous les sites internet qui ont repris le texte !

Quant à la dernière remarque de la réponse ministérielle, elle peut être éclairée par l’évaluation suivante : en 2008, 29 779 titres de séjour ont été délivrés après entrée irrégulière. Soit donc, en moyenne, une régularisation pour un éloignement. Un mauvais esprit pourrait suggérer d’en tenir compte pour le calcul du coût de la politique d’éloignement ainsi que la réponse ministérielle le suggère.

B.A. de C.

 
Pénombre, Janvier 2011