Un des principaux enseignements de l’enquête « Contexte de la sexualité en France », publiée en 2008, comparée à l’enquête ACSF de 1992, est que les trajectoires ou les parcours sexuels et affectifs des femmes se rapprochent de ceux des hommes, en d’autres termes que leur vie sexuelle connaît une diversification de plus en plus grande, qui était jusque-là réservée aux hommes.
Cependant, ce rapprochement des trajectoires est loin de correspondre à un rapprochement aussi net des expériences vécues, qui dépendent aussi des rapports de pouvoir entre partenaires, et des jugements sociaux sur leurs comportements.
Un bon exemple de ce phénomène est ce qu’on peut appeler le paradoxe des nombres de partenaires. Alors qu’une femme sur dix seulement dit avoir eu plus de 10 partenaires, c’est le cas d’un homme sur trois. Les premières déclarent avoir eu en moyenne 4,4 partenaires dans leur vie, les seconds 11,6 partenaires. Pourtant les nombres devraient être égaux. La prise en compte de la prostitution ne suffit pas à réduire l’écart. Les interprétations psychologiques spontanées qui sont données de cette différence (les hommes vantards, les femmes dissimulatrices) pèchent par leur simplisme. Il y a en fait deux manières de compter : soit on passe en revue les partenaires pour n’en retenir qu’un certain nombre, soit on évalue approximativement leur nombre sans sélectionner. Si femmes et hommes ne comptent pas de la même façon, c’est qu’ils définissent différemment les partenaires. Les hommes prennent en compte toutes celles avec qui ils ont eu des expériences sexuelles, même si elles ont eu peu d’importance ; les femmes ne comptent que les relations qui ont compté affectivement et omettent, voire ont déjà oublié, les autres. Elles intériorisent ainsi des attentes sociales contraignantes qui les poussent à donner d’elles-mêmes une image de personnes sélectives, s’intéressant à la création de relations ou de couples, plutôt qu’à la sexualité. Elles savent que les jugements sont sévères sur celles qui ont des relations multiples. Cette contrainte ne pèse pas sur les hommes.
Michel Bozon
Références
Lagrange (Hugues), 1991, « Le nombre de partenaires sexuels : les hommes en ont-ils plus que les femmes ? », Population, 2, pp. 249-278.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1991_num_46_2_17470
Leridon (Henri), 2008, « Le nombre de partenaires : un certain rapprochement entre les femmes et les hommes, mais des comportements encore très différents », in Nathalie Bajos et Michel Bozon, dir., Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La découverte, pp. 215-242.
Cette explication sociologique n’ayant pas convaincu tous les membres de la rédaction, une suite est à prévoir !
Pénombre, Janvier 2011