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En démocratie, l’absurde commence à 3

EN DECEMBRE 2000, les chefs d’États de l’Union européenne signent un traité à Nice. Le texte est important et nous concerne tous malgré son caractère abscons. Il s’agit du troisième traité après celui de Rome (instituant en 1957 la Communauté européenne) et celui de Maastricht (fondateur en 1992 de l’Union européenne) : le Traité de Nice ébauche le fonctionnement futur de l’Europe quand l’Est aura rejoint l’Ouest. Pour entrer en vigueur, le traité doit être, après signature par les chefs d’États, ratifié par chaque pays membre de l’UE. Mais, en juin 2001, un référendum sur le sujet, organisé en Irlande, débouche sur un « non » : le traité ne peut être ratifié. Il est alors décidé de laisser reposer le sujet et de programmer un nouveau référendum, plus tard, sur le même texte. En octobre 2002, une nouvelle consultation donne une majorité de oui parmi les Irlandais votant : le Traité de Nice est donc ratifié.

La même question, posée deux fois, qui a pour réponse « non » puis « oui » est donc réputée être acceptée ? Tenons pour une erreur grossière, heureusement inhabituelle de sa part, l’explication avancée par l’éditorialiste qui, sur France Inter le 21/10/02 à 8h50, disait, en substance « c’est comme les élections présidentielles en France, au premier tour, on rue dans les brancards, au deuxième, on choisit sagement ». Outre cette vision surprenante de la principale élection française (mânes de Debré, protégez-nous !), il s’agit d’un mensonge : le référendum n’était pas destiné à se dérouler en deux tours. Il y a bien eu re-référendum.

En termes électoraux, comment comptabiliser un résultat lorsque l’on demande deux fois de répondre sur la même question ? Il semblait peu probable que l’on prenne en compte les deux votes, en faisant par exemple la moyenne des oui et des non. Dans les faits, c’est le second vote qui a compté. Sortons un instant du contexte et examinons le cas théorique d’un vote en deux temps dont seul le second compte : il serait loisible de se demander pourquoi organiser un premier.

Mais en politique le contexte est au dessus des faits. Et en l’occurrence, il ne faut pas être de foi bien mauvaise pour insinuer que c’est parce qu’ils ont voté non que les Irlandais ont été à nouveau convoqués sur le même sujet. À quelques jours de ce deuxième vote, le Président du Parlement Européen, Pat Cox, expliquait dans une interview : « Si le non l’emportait, il serait absurde de vouloir soumettre une troisième fois aux Irlandais le traité actuel » (La Tribune du 8/10/02). Cela signifie donc qu’il n’était pas absurde de le soumettre une deuxième fois. 

Nicolas Meunier

 
Pénombre, Avril 2003