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Et on n’en sait pas plus qu’avant….

Deux ouvrages parus récemment s’intéressent à l’islamisation et ont fait l’objet de nombreux articles de presse et entretiens. Leur lecture permet-elle d’en savoir un peu plus sur le sujet ?

  1. Des échantillons « raisonnés » ou « diversifiés »

Les sociologues Olivier Galland et Anne Muxel présentent La tentation radicale, enquête auprès des lycéens, ouvrage auquel fait référence le texte précédent. Leur objectif était « d’aller au-delà des travaux monographiques et qualitatifs difficilement généralisables en raison de leurs effectifs limités ». 7000 lycéens interrogés, ce nombre est en effet assez important. Ils souhaitaient « avoir dans leur échantillon un nombre suffisamment important de jeunes de confession musulmane » et ils vont donc enquêter dans des lycées où les élèves musulmans sont nombreux, fabriquant donc un échantillon « diversifié » qui « n’a aucune vocation à être représentatif ». 

  1. Des « anecdotes » 

Les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme présentent une enquête « inhabituelle » sur « l’islamisation à visage découvert » (sous-titre de leur livre Inch’Allah). Ils souhaitent se démarquer des sociologues, « des gens qui se font des nœuds dans la tête ». Eux, ils vont chercher les faits, les faits, les faits. De quels faits s’agit-il ? Dans la plupart des cas, ce sont des témoignages non recoupés, voire des anecdotes rapportées par des sources dont il n’est pas question de dévoiler l’identité, ce qui serait un manquement certain à la déontologie journalistique. Nous sommes en effet bien loin d’une démarche sociologique, les auteurs prêchant qu’« un témoignage peut faire partie d’un fait ». Le titre de l’ouvrage a été choisi délibérément pour être « efficace, vendeur » car cette version raffinée du micro-trottoir a pour but affiché d’être un « produit commercial », une tête de gondole qui assurera à l’éditeur et aux auteurs un succès commercial. 

Il est intéressant de constater que, dans les deux cas, les auteurs revendiquent une démarche particulière. Pourquoi pas ? Mais, dans les deux cas, le problème est celui de la généralisation que le lecteur souhaiterait faire, et fait peut-être à son insu, des résultats et propos rapportés dans ces ouvrages.

Certes, il y a DES lycéens qui ont donné certaines réponses au questionnaire proposé par Galland et Muxel, mais ces sociologues sont-ils fondés à sous-titrer leur ouvrage « enquête effectuée auprès des lycéens », phrase qui, pour le moins, amène à penser que leurs conclusions font référence à tous les lycéens et non seulement à ceux qu’ils ont interrogés. Ils mettent en avant le nombre important de lycéens interrogés dont ils « pensent » qu’il leur permet un « exercice comparatif absolument essentiel » entre « les populations se revendiquant de l’islam et les populations d’autres religions ». Faute d’échantillons représentatifs, la généralisation à des « populations » est simplement inapplicable. D’ailleurs, lors d’un entretien à la fondation Jean-Jaurès, Olivier Galland précise lui-même que « c’est une enquête exploratoire et il ne faut pas attacher une importance trop grande aux pourcentages qu’il ne faut pas généraliser », soulagement statistique de courte durée puisqu’il s’empresse d’ajouter « par contre les écarts entre les différents types de jeunes sont si forts qu’ils nous semblent révéler des faits sociaux solidement établis ». En clair, les pourcentages, il ne faut pas s’en occuper, mais les écarts entre pourcentages, si… et cette pirouette ouvre la voie à des régressions logistiques sophistiquées au mépris des règles élémentaires des probabilités. 

De leur côté, Davet et Lhomme ne revendiquent ouvertement aucune généralisation et se plaisent à rappeler qu’« une enquête de journalistes n’est pas une enquête sociologique » (Arrêt sur Image, 19 octobre 2018). On veut bien les croire… mais alors, si le train retardé de 6h34 cache l’ensemble des trains qui arrivent à l’heure, qu’en est-il des anecdotes et témoignages rapportés de « l’islamisation à visage découvert » ? Les radio-trottoirs s’arrangent le plus souvent pour nous présenter l’avis de personnes « pour » et de personnes « contre » comme si leur micro avait « pêché » les passants de manière aléatoire. Au moins font-ils semblant de respecter une démarche scientifique ! Mais un livre qui ne présente, parce qu’il l’a délibérément cherché ainsi, que des faits (ou témoignages) allant dans le même sens est-il le modèle de l’enquête journalistique revendiquée ? Le journal Marianne voit dans cet ouvrage « un livre rigoureux qui documente une réalité » ; de quelle « réalité » des témoignages et opinions témoignent-ils ? 

Les règles de la démarche adoptée par la communauté scientifique ont justement pour but d’échapper aux effets de déformation cognitive produits par des enquêtes sur échantillons ad hoc et par la surbrillance des enquêtes « Spotlight ». Il est vrai qu’un rapport scientifique est souvent moins « vendeur ».