Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? " Elles vous demandent : " Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? " Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : " J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit...", elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : "J’ai vu une maison de cent mille francs. " Alors elles s’écrient : "Comme c’est joli ! "
Antoine de Saint-Exupéry
"La famille Péhaimécy, ses amis de Pénombre, Ses sponsors, Ses nombreux ennemis... Ont la douleur de vous faire part du rappel à diable prématuré de : Son Altesse Royale Péhaimécy psy Officier dans l’Ordre de la Technocratie Compagnon de la Pénombre dans sa quatorzième année de grossesse. Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale. Cet avis tient lieu de faire-part." |
ON SE SOUVIENT d’une Lettre grise de Pénombre et d’une Nocturne consacrées au PMSI en psychiatrie. Auparavant, un groupe de travail de Pénombre avait réfléchi à “ l’usage des nombres en psychiatrie ”. Durant des mois, des membres divers de l’association et des psychiatres avaient travaillé la question.
Le “ programme de médicalisation des systèmes d’information ” (PMSI) avait été adopté quelques années plus tôt pour les services hospitaliers de médecine, chirurgie et obstétrique. Il consistait à observer le coût de traitement en fonction de la maladie soignée.
Un objectif pouvait être de donner aux responsables des différents services et hôpitaux des éléments chiffrés pour réfléchir à leur organisation et leur fonctionnement. Il servait aussi pour déterminer l’allocation des budgets de fonctionnement aux hôpitaux.
Puis, l’idée s’est faite de procéder de même pour la psychiatrie. Sans redire ici les réflexions de l’époque (prière de se reporter à la Lettre grise “ Péhaimécy Roi ”), disons que le groupe de travail avait fini par douter très fortement de la pertinence de cet outil.
En matière de santé mentale, ce que l’on fait pour un patient dépend de multiples circonstances et n’a pas de lien aussi serré qu’en “ MCO ” avec la pathologie traitée. La tentative de définir une classification (des “ groupes homogènes de malades ”, ou des groupes homogènes de quoi que ce soit : d’actes, de journées, …) n’a qu’un faible pouvoir prédictif quant aux ressources humaines ou techniques à utiliser.
Chiffrer le mal-être ou la psychose semble une gageure. Établir un lien rationnel et quantifié entre la pathologie et le budget se révélait un mirage. Un participant au groupe disait : “ c’est une histoire de fou ! ”
Or, on avait l’impression que l’Administration, impavide, poursuivait son idée. Toutefois, les mois et les années passant, le ministère vient de changer de cap. Le PMSI est abandonné, pour la psychiatrie. L’ironie de Pénombre n’est pour rien sans doute dans ce revirement : tout au plus a-t-elle pu conforter ceux qui plaidaient contre. Dans notre monde qui à bien des égards semble fou, il est réconfortant que, parfois, on admette qu’il n’est pas raisonnable d’enserrer dans le rationnel le traitement de la déraison.
Pourtant, le besoin de comprendre et peut-être de contrôler cette activité thérapeutique demeure ; le ministère se tourne vers d’autres outils, d’autres critères de gestion et il faudra voir s’il ne reproduisent pas les mêmes fantasmes et les mêmes méfiances…
Pénombre, Mars 2004