Arrêtons ce chemin de réflexions : que, par la poésie, nous soyons orientés vers un autre rapport qui ne serait pas de puissance, ni de compréhension, ni même de révélation, rapport avec l’obscur et l’inconnu, il ne faut pas compter sur une simple confrontation de mots pour en recevoir la preuve. Nous pressentons même que le langage, fût-il littéraire, la poésie, fût-elle véritable, n’ont pas pour rôle d’amener à la clarté, à la fermeté d’un nom, ce qui s’affirmerait, informulé, dans ce rapport sans rapport. La poésie n’est pas là pour dire l’impossibilité : elle lui répond seulement, elle dit en répondant. Tel est le partage secret de toute parole essentielle en nous : nommant le possible, répondant à l’impossible. Partage qui toutefois ne doit pas donner lieu à une sorte de répartition : comme si nous avions, à notre choix, une parole pour nommer et une parole pour répondre, comme si, enfin, entre la possibilité et l’impossibilité, il y avait une frontière peut être mouvante, mais toujours déterminable selon l’« essence » de l’une et de l’autre(1).
Maurice Blanchot
(1). Tout autre est ce partage qui n’est jamais fait, ni décidé une fois pour toutes, de même que l’on ne saurait enfermer les rapports de ces deux termes dans une opposition simple, pensant par exemple que la possibilité se conquiert sur l’impossibilité comme le jour sur la nuit et qu’à la fin, lorsque tout se sera affirmé dans l’évidence d’une lumière, l’impossibilité ne pourra être que définitivement maîtrisée et l’obscur, résolu en clarté. Façon de voir d’où il résulterait que celui qui se soucie de l’ « impossible » est l’ennemi de la possibilité et vice versa. je mentionne ces conceptions un peu enfantines, parce qu’elles traduisent les tranquilles certitudes du bon sens pour qui l’éclaircissement et l’obscurcissement s’opposent d’une manière assurée, comme lumière et absence de lumière. Qu’au contraire, si jamais tout devait être un jour compris, ainsi que l’espérait Lénine, et si jamais la liberté, ce coeur du possible, parvenait à s’affirmer manifestement comme l’achèvement de notre pouvoir, loin de perdre la mesure de ce qu’il y a de secret en elle, c’est alors que nous serions prêts à répondre à la requête de son essence cachée : voilà ce qui échappe aux hommes qui ne veulent lutter que pour le possible comme à ceux qui voudraient s’en tenir dédaigneusement à l’écart.
Peut-être faut-il que tout apparaisse pour que le sens du rapport avec l’obscur se fasse plus essentiel ? Peut-être faut-il que ce qu’on appelle lumière, ce qu’on appelle logos règnent enfin totalement et s’accomplissent comme tout pour être accueillis dans l’affirmation qui les retient hors du tout ? Peut-être. Mais on ne peut pas non plus le dire aussi simplement, ni se hâter de conclure que possibilité et impossibilité se tiennent dans une mutuelle appartenance qui nous permettrait déjà de les soutenir à la fois, difficilement mais heureusement. Comment pourrait il en être ainsi ?