"Inflation modérée ne signifie pas stabilité des prix" nous dit La Vie Française (18 septembre 1999) sous le titre "Inflation : des niches subsistent". Il y aurait donc des niches écologiques où cette espèce en voie de disparition, l’inflation, parvient à subsister. Suit une énumération des produits ou secteurs où les prix ont sensiblement crû plus que la moyenne : tabac, distribution d’eau, restauration, spectacles, réparation automobile et jusqu’au petit noir pris sur le zinc. En revanche, la palme de la "déflation" reviendrait aux ordinateurs, "dont les prix ont chuté de presque 64% en huit ans pour des performances nettement meilleures".
Les économistes ont rempli une vaste bibliothèque de leurs controverses sur les causes de l’inflation, ses diverses formes, ses dommages, ses vertus, ses remèdes ; mais d’abord, sur sa nature même. Sans prendre parti, ce n’est pas parce que les spécialistes ne sont pas d’accord qu’on peut raconter n’importe quoi. Ils sont au moins d’accord sur un point : l’inflation est un phénomène global. La hausse d’un prix ou de quelques prix n’est pas de l’inflation.
Pour certains, l’inflation serait l’augmentation de la quantité d’argent en circulation : au-delà de ce dont l’économie a besoin, d’où une hausse générale des prix. Schématiquement, si vous multipliez la quantité de monnaie par 2, tous les prix seront multipliés par 2 ; autrement dit, c’est la valeur de la monnaie qui est divisée par 2. Selon cette vue, l’augmentation des prix ne constitue pas l’inflation, elle en est seulement la conséquence. Elle mesure l’inflation, mais elle n’est pas l’inflation.
Toutefois, cette vue "monétariste" ou "quantitativiste", bien qu’en partie fondée, a paru trop simple. On est devant un phénomène composite, fait d’enchaînements dynamiques entrecroisés où interviennent les décisions d’une myriade d’agents économiques, où joue aussi l’idée qu’ils se font du futur. D’où le foisonnement de théories évoquées plus haut. D’où l’absence d’une définition de l’inflation acceptée de tous. Reste acquis un point "métrologique" : la hausse générale des prix mesure l’inflation.
L’important, dans toute cette affaire, est l’adjectif "générale". Jamais, inflation ou pas, personne n’a prétendu que tous les prix devaient évoluer parallèlement. Non seulement cela, mais des évolutions différentes sont nécessaires. Elles traduisent et répartissent des hausses différentes de productivité (mais ceci est encore une autre histoire). Lorsque, pour enrayer une inflation trop vive, certains gouvernements ont tenté un blocage total des prix, ce n’était pas tenable longtemps : tout au mieux on pouvait en espérer un coup d’arrêt momentané.
Donc, que l’inflation soit la hausse des prix ou qu’elle soit mesurée par la hausse des prix, il ne s’agit que de la hausse d’ensemble : sachant que par rapport à cette moyenne, certains prix augmentent plus, d’autres moins, et même que certains baissent. Voir dans la hausse d’un certain prix une inflation locale - pis encore, une cause d’inflation - serait donc à peu près comme de dire qu’une vague est une marée montante locale. Certes, quand la marée monte, les vagues sont plus vives ; mais si à marée descendante il y a des vagues, ça ne veut pas dire qu’à cet endroit-là, la marée monte.
Alors, oui : il y a des produits ou des secteurs dont les prix montent plus qu’ailleurs (et d’autres, moins) : pour toutes sortes de raisons, où l’inflation n’est pas pour autant nichée.
René Padieu
Pénombre, Décembre 1999