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La famille, une histoire ou des histoires ?

Ces questions de descendants, d’ascendants et d’histoires familiales (cf. l’article de Chadanou Doubsar) m’ont toujours laissé perplexe. Chacun d’entre nous est issu de deux familles parentales, de quatre familles grand parentales, de huit familles arrière grand parentales.… Si on continue on aboutit très vite à des nombres énormes qui découragent les généalogistes amateurs, à moins de ne retenir que les ancêtres qui portent le même nom, ce qui est réducteur et arbitraire. J’ai participé il y a quelques années à une fête qui rassemblait les descendants d’un couple marié en 1700. La distance entre les plus jeunes présents et cette famille fondatrice était de 10 générations. Ces jeunes étaient donc issus de 210, soit de 1 024 familles de même niveau généalogique. Ils avaient donc très peu de sang, ou de gènes pour être plus moderne, de ce couple. C’était néanmoins une belle fête de famille. Visitant récemment un château construit au début du XVIIe siècle j’apprends par le guide qu’il « n’est jamais sorti de la famille ». De quelle famille ? Disons que sa transmission ne s’est jamais faite par vente mais toujours par héritage.

La personne qui descend d’un Morisque expulsé d’Espagne en 1609, en supposant une distance moyenne de 30 ans entre générations, est séparée de celui-ci par 13 degrés. Elle aurait donc 213, soit 8 192 ascendants de cette époque. Peut-être qu’en recherchant les 8 191 autres elle pourrait trouver d’autres droits tout aussi intéressants, voire plus, à faire valoir. Ce type de droits qui se base sur « un » ancêtre est aussi celui que les autorités allemandes invoquent pour accueillir et donner la nationalité allemande à toute personne dont un aïeul est parti de leur pays. C’est ainsi qu’ils sont dû accueillir des citoyens de l’ex-URSS absolument pas familiarisés avec la culture germanique et ne parlant pas un traître mot d’allemand.

Comme l’hérédité est d’autant plus réduite que l’ancêtre invoqué est lointain, les nobles qui se targuent le plus de leur ancienneté, les « vrais nobles », sont paradoxalement ceux qui ont le moins de liens avec leur aïeul. Quelqu’un me disait ainsi qu’un de ses ancêtres avait participé à la première croisade en 1095, soit il y a plus de 900 ans, ce qui fait 30 générations d’écart. Il aurait donc plus d’un milliard d’ancêtres (1 073 741 824) de cette époque et moins d’un milliardième de sang du croisé ! Il en a évidemment plus mais néanmoins très peu. En effet, d’après les historiens-démographes, les humains n’auraient été que 300 millions à cette époque, ce qui ne peut pas donner lieu à davantage d’ancêtres. C’est que chacun d’entre nous a des ancêtres qui ont des ancêtres communs. C’est le cas quand il y a mariage entre cousins germains, lesquels ont les mêmes grands parents. Mais outre ce cas, qui était généralement intentionnel, il y a beaucoup d’ancêtres qui sont cousins ou plutôt arrières arrières… cousins sans le savoir. Le nombre de nos ancêtres est donc inférieur, voire très inférieur aux nombres astronomiques que l’on vient de calculer, mais il n’en reste pas moins considérable.

Et le paradoxe de notre humanité sexuée demeure : pour perpétuer « notre famille », il faut par le mariage ou l’union la fusionner avec des « familles étrangères », donc en quelque sorte la dissoudre. Bref l’histoire familiale c’est avant tout des histoires, des mythes, quoi.

Jean Célestin