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Le maire et ses pairs

"Les tests, les questionnaires, les sondages d’opinion taraudent l’être humain sans colère et sans haine, avec le détachement blafard de la technique opérationnelle. On ne vous reproche rien. C’est pire, on vous enregistre. Nul ne songe à vous inculper, ni à tenir pour une faute que vous soyez ce que vous êtes. Unité, vous servez à calculer une moyenne qui se retournera contre l’unité. Au tribunal immatériel de la statistique vous n’avez pas enfreint les lois, puisqu’il n’y a pas de code, pas de réquisitoire, pas même un lambeau d’hermine sur un bedon de juge. Mais vous êtes juge. Juge avec des cubes, des croix, des lignes..."

En exergue de ce dossier, une citation
extraite de "L’extricable" de Raymond Borde,
que nous a communiquée Francois Pradel de Lamaze.

 

Les élus sont-ils souvent mis en cause pour des délits non intentionnels ?

La pénalisation outrancière serait chez les maires la première cause des non-demandes de renouvellement de mandat en 2001. L’association des maires de France (AMF) a lancé ce débat qui a abouti à une proposition de loi Fauchon et à un rapport d’une commission mise en place par la Garde des Sceaux, présidée par le conseiller d’État Massot. Le texte, qui devrait être adopté par les deux assemblées en consensus, redéfinit le champ de la responsabilité pénale en matière de délits non intentionnels. Les données fournies nous laissent toutefois un peu sur notre faim.

 
Précisions et médias

A l’appui de sa campagne de dénonciation des mises en cause abusives d’élus, l’AMF avait cité quelques exemples convaincants (un maire condamné pour un panneau de basket qui était tombé sur un jeune) et lancé le chiffre - repris par toute la presse - de 850 élus et fonctionnaires territoriaux mis en examen, dont 50% pour des infractions involontaires.

Selon le Figaro du 1er décembre 1999 qui avait effectué un efficace travail d’investigation, ce chiffre émanerait de l’Observatoire des risques juridiques des collectivités locales1. Jean-Paul Delevoye, président de l’AMF, renvoyait quant à lui à un discours du ministre de l’Intérieur qui, dans une interview aux Echos du 23 novembre 1999, était on ne peut plus précis : "on dit un peu partout, mais cela reste à vérifier, que les élus locaux seraient actuellement 800 à faire l’objet de procédures judiciaires…". Martin Malvy, président de l’Association des petites villes de France (APVF) affirmait de son côté en novembre 1998 que "700 décideurs locaux, dont 64 élus, sont actuellement mis en examen, et pour une grande partie d’entre eux, pour des faits non intentionnels."

Mais, devant la commission Massot, la Chancellerie fournissait d’autres chiffres obtenus à partir d’une enquête réalisée auprès des procureurs généraux. Il y avait, au 1er avril 1999, 54 élus mis en examen pour des infractions non intentionnelles. De mai 1995 à avril 1999, il n’a été retrouvé la trace que de 48 décisions rendues par la justice dont 24 classements, non-lieu ou relaxe et 14 condamnations (10 décisions n’ont pas été précisées dans l’enquête). Sur ces 14 condamnations en quatre ans, 12 ont été prononcées pour homicides ou blessures involontaires. Réaction du président Delevoye à cette enquête : "le vrai problème, quels que soient les chiffres, c’est la condamnation médiatique qui suit toute mise en cause d’élu."

 
A l’Intérieur aussi

Bien entendu, les données fournies au débat public sont difficilement comparables puisque certaines concernent des stocks et d’autres des flux, que la catégorie élu local est beaucoup plus restrictive que celle de décideur public, et que les catégories d’infractions visées sont différentes.

Il semble établi toutefois que les élus et décideurs publics soient de plus en plus fréquemment mis en cause dans des procédures, essentiellement à l’initiative de parties civiles. Ainsi, une étude du ministère de l’Intérieur, versée au rapport Massot, révèle que 65 fonctionnaires de cette seule administration (hors la police), dont 27 préfets, ont été mis en cause (mise en examen ou citation directe) depuis une date non précisée. Mais seules 13 mises en cause concernaient des délits d’imprudence. Fin 1999, 17 procédures étaient toujours en cours. Sur les 48 terminées, 2 avaient abouti à des condamnations, les 46 autres s’étant terminées par des désistements, non-lieu ou relaxes.

Par ailleurs, le rapport de la Chancellerie relevait une augmentation forte des condamnations d’élus et décideurs publics (286 en 1997 contre 69 en 1985 et 133 en 1987) pour des atteintes au devoir de probité (trafic d’influence, corruption, prise illégale d’intérêts…).

Dernier chiffre. La France compte 36’773 communes.

Jean-Paul Jean

 
1
Selon le rapport de la commission des lois du Sénat n°177 du 20 janvier 2000, cette étude révèlerait que la moitié de ces 850 élus pour 1999, contre 300 en 1996 (chiffres à l’évidence cumulatifs) aurait été mise en examen pour diffamation, 13% pour violation de la législation sur les marchés publics, 1,5% pour corruption, 10% pour l’exercice de leurs pouvoirs de police.

 
Pénombre, Juin 2000