--

Le poids des armes

Comment peut-on mesurer l’importance d’un trafic d’armes ? La mise en cause de Jean-Christophe Mitterrand, auquel il est reproché d’avoir reçu une commission de la société Brendo pour avoir servi d’intermédiaire avec l’Angola, nous en fournit une enrichissante illustration.

Tous les chiffres ont circulé, depuis le montant de 13 millions de francs de la commission, jusqu’au contrat de 633 millions de dollars d’armements passé avec les responsables angolais. Entre les deux, une accumulation de réseaux, d’intervenants et de très beaux chiffres dont celui de 1 256 766 403 francs (notez les 03 francs essentiels à la crédibilité de l’information alors que les pénalités se calculent en pourcentage de la fraude estimée) de redressement fiscal demandé à la société Brendo – " le plus important jamais opéré en France " (Le Monde 13 janvier 2001). Libération du même jour estimait que " le tout pèse 600 millions de dollars. "

Le débat sur le poids des armes commençait. Il s’est étendu aux ventes d’armes en 1994 de la même société au Cameroun. Comme les chiffres n’étaient sans doute pas assez énormes, certains ont alors non seulement évoqué la valeur marchande des armes, mais aussi leur poids. Le Monde a titré : " Les lettres adressées à un ministre de Paul Biya attestent la vente d’au moins 30 tonnes d’armes ", l’article précisant que la commande portait sur 72 millions de dollars. Le ministre de la Défense camerounais s’en est à juste titre étonné. " Les armes ça pèse lourd. Pour 72 millions de dollars, 30 tonnes, ce n’est rien. À ce prix, ça doit être une bombe atomique ! ", ironise-t-il. (Libération 20 janvier).

 

Si vis pacem

Cet humaniste a raison. Un autre article du Monde (13 janvier), très documenté, nous apprenait que pour 37,76 millions de dollars (à bas niveau, soit 5,55 F en avril 1994) l’Angola, quant à lui, avait eu droit (selon facture) à " quatre hélicoptères de combat MI-24 – de véritables forteresses volantes, était-il précisé (combien de tonnes ? nda ) – à quinze kits complets pour des hélicoptères MI-17 plus petits et à 600 000 cartouches de calibre 7,62 mm . "

Je ne connais rien aux armes, pas grand-chose aux chiffres, mais ce poids des armes a-t-il une valeur quelconque ? Est-ce la référence aux armes légères et aux armes lourdes qui a fait déclencher la grosse artillerie journalistique ?

Aux nostalgiques de feu le catalogue Manufrance, pour tenter une estimation du poids des armes, je conseille ParabellumWeb.Com, le site militaire multimédia du web. Vous y apprendrez ainsi que le Badger, " dérivé du célèbre char d’assaut Léopard C1, à l’épreuve de toute contamination radioactive en cas de guerre nucléaire ", pèse à lui tout seul ses 43 tonnes, mais qu’un char AMX P 10 " ne pèse que 14,6 tonnes en ordre de combat (plein + munition + personnels) ". Quant au CV 9030, " sa caractéristique fondamentale demeure son poids réduit de 26 tonnes, malgré un blindage laminé acier/kevlar capable de résister à un obus flèche de 30 mm… " Un char dépanneur niveleur AMX 30 pèse quant à lui 36 tonnes. Si vous voulez un Canon de 155 mm automouvant monté sur châssis AMX 13, son poids en ordre de combat est de 17 tonnes.

Je vais peut-être arrêter mon char ici. Mais l’inquiétude grandit, la ligne de front se rapproche. Après les militaires et les marchands d’armes, les journalistes d’investigation vont-ils maintenant s’attaquer aux intellectuels, vérifier le bon calibrage du poids des mots, mettre dans la balance le poids de l’héritage culturel, évaluer en dollars les pesanteurs hiérarchiques… ? Déjà, ce débat me pèse un peu. Tous aux abris, l’esprit léger !

Jean-Paul Jean

 
Pénombre, Avril 2001