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Les indicateurs, les milliards et l’indifférence

Chaque année le ministère chargé de la Recherche effectue une enquête auprès des institutions publiques de recherche pour répertorier les flux financiers entre elles et avec l’extérieur (enquête recherche publique). Parallèlement, une autre enquête identifie les flux financiers de recherche - développement (RD) relatifs aux entreprises, entre elles et avec l’extérieur (enquête RD des entreprises).

Résultat : en ce qui concerne les rapports avec l’étranger, deux institutions publiques sont massivement importatrices de recherche : le CNES (Centre national d’études spatiales) et le ministère des Affaires étrangères. Ces institutions payent en effet beaucoup de RD à des fournisseurs étrangers. Il est établi par ailleurs que les grandes firmes françaises de haute technologie sont massivement exportatrices de travaux de RD, elles reçoivent beaucoup d’argent de l’étranger.

Est-ce à dire que nos ministères et grandes agences seraient obligés d’importer de la connaissance que notre système public serait incapable de leur fournir, tandis que nos vaillantes entreprises emporteraient à l’exportation des marchés à haute valeur ajoutée ? Voilà qui pourrait poser question… D’autant qu’il s’agit de plusieurs milliards de francs par an !

C’est bien ce qu’aurait dû conclure n’importe quel destinataire des travaux publiés depuis des lustres par le ministère chargé de la Recherche, notamment de son Rapport pour la Loi de Finance, présenté chaque année au Parlement.

Du moins pour un destinataire qui se donnerait la peine de lire.

Disons de suite que cela aurait été peine perdue.

En effet c’est le ministère des Affaires étrangères qui règle les « cotisations » de la France aux organisations scientifiques internationales régies par des conventions internationales, par exemple le CERN de Genève - d’où ses « importations » de RD.

Par ailleurs, et par exception, c’est le CNES qui règle la cotisation de la France à l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce financement, qui apparaît comme une importation du CNES, est ensuite reversé selon la règle du « juste retour » aux entreprises françaises compétentes, ce qui apparaît, pour elles, comme une exportation puisque l’ESA est une agence internationale.

Comme personne ne s’était jamais ému de la signification d’indicateurs qui de toutes façons étaient fallacieux : où est le problème ?

Le problème est que sous prétexte, ici bien fondé, des chausse-trappes que recouvre souvent ce type de chiffre, on s’abstient systématiquement et par avance de les prendre au sérieux. La probabilité devient alors faible qu’après analyse critique on puisse construire des chiffres qui, eux, seraient vraiment pertinents.

Plusieurs milliards de francs injectés chaque année, depuis des décennies, par l’État dans la recherche parcourent un circuit, au demeurant très légitime, qui leur fait passer des frontières. Et voilà que ce fait banal, qui ne va cesser de se développer, est cause que la représentation nationale et le citoyen ne peuvent plus comprendre les flux financiers liés à la politique publique de recherche ! mais au fait : qui s’en soucie ?
 

Rémi Barré
Observatoire des sciences et des techniques

 
Pénombre, octobre 1997