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Editorial

"Je passe le plus clair de mon temps à l’obscurcir parce que la lumière me gêne."
Boris Vian, L’écume des jours

 

Les chiffres se rebiffent, les chiffres manifestent. Rentrée des chiffres en guise de rentrée sociale, il faudra s’y habituer.

Nous avions prévenu : les chiffres vivent leur propre vie. Chacun aura pu voir et entendre s’affronter les 350000 emploi-jeunes ou familles concernées par le plafonnement des allocs (drôle de coïncidence), les 29000 F (moyenne supérieure, non corrigée des variations saisonnières), les 1300 intellectuels signataires, plus nombreux que les 1200 régularisés, les 10% qui ne sont peut-être finalement que 6% d’illettrés, et puis le bouquet avec les 35 payées 39 (ou presque), en 2000 si tout va bien. Un vrai feu d’artifice !

Devant une telle animation, l’envie nous reprend de courir après l’actualité. Surpris, inquiets, emportés d’indignation, quelquefois agréablement étonnés, rarement satisfaits par des explications prétendument éclairantes, combien d’entre nous auront eu envie de dire : un moment ! Stop ! Halte là ! D’où tenez-vous cela ? Croyez-vous informer vos lecteurs ou vos auditeurs avec ce chiffre claironné qui répond avant d’avoir posé la question ?

Et puis le lendemain le chiffre change, le projecteur s’est déplacé, ou s’est éteint. Pénombre. Alors on est désabusé, on se dit que décidément, sauf en cas d’agression caractérisée, la pédagogie lente des revues et enseignements spécialisés, des colloques distingués et des ouvrages sophistiqués est le seul chemin possible, aride et solitaire.

La Lettre Blanche continue à chercher une autre voie. Trois ou six mois après, il n’est pas vain de reparler de ce qui nous a surpris, inquiété ou indigné. Un nouveau Conseil de Pénombre, avec de nouvelles arrivées, se propose d’améliorer nos capacités de réaction et d’intervention diverses.

Alors face au grouillement de chiffres dans la rue, il n’est plus temps de rester à l’abri des persiennes. Il faut manifester, pétitionner (l’offre est vraiment diversifiée) ou mettre une bougie allumée à sa fenêtre si on veut. Mais n’oubliez pas de nous appeler, de nous écrire, de nous zimailer. Nous ne pourrons jamais courir après l’actualité, mais on finira bien par nous remarquer.
 

 
 
Pénombre, octobre 1997