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N’en jetez plus, la dette est pleine !

DEPUIS DECEMBRE 2005 on reparle de la dette de l’État, pour s’en effrayer une fois de plus sans rien y faire si ce n’est de l’aggraver dans l’immédiat, situation qui évoque une fameuse scène du Bourgeois gentilhomme.

 DORANTE. Je veux sortir d’affaires avec vous, et je viens ici pour faire nos comptes ensemble. (…) Je suis homme qui aime à m’acquitter le plus tôt que je puis. (…) Voyons un peu ce que je vous dois. (…) Vous souvenez-vous bien de tout l’argent que vous m’avez prêté ?
 M. JOURDAIN. Je crois que oui. J’en ai fait un petit mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.
 DORANTE. Oui. (…) Tout cela est véritable. Qu’est-ce que cela fait ?
 M. JOURDAIN. Somme totale, quinze mille huit cents livres.
 DORANTE. Somme totale est juste : quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents pistoles que vous m’aller donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous paierai au premier jour.
(Acte III, scène 4, extraits)

La dette de l’État serait de 1 100 milliards d’euros et même de 2 000, dit le ministre des Finances, si on y inclut les pensions de retraite des fonctionnaires. Curieux ! Une dette c’est quoi ? c’est de l’argent que l’on a emprunté à quelqu’un et qu’il va falloir lui rembourser. Quand cette somme est remboursée on ne doit plus rien. L’État n’a pas emprunté leurs futures pensions aux fonctionnaires. Par ailleurs, s’il leur versait d’un coup toutes leurs pensions à venir, il n’en serait pas quitte pour autant, puisqu’il aurait à faire face le lendemain à de nouveaux retraités auxquels il en doit également. Cet argent que l’État s’est engagé à verser à ses anciens serviteurs entre dans la même catégorie que celui qu’il s’est engagé à verser à ses serviteurs en poste, les salaires. Il faudrait donc aussi inclure ceux-ci dans la dette !

J’en étais là de mon raisonnement ab absurdo, quand je suis tombé sur une libre opinion d’un actuaire dans le Monde du 16 décembre 2005 qui affirme qu’il faut effectivement inclure aussi ces salaires dans la dette et en conclut que l’État est en faillite. Poursuivons le raisonnement. Si l’engagement de l’État vis-à-vis de ses agents entre dans la dette, pourquoi s’en tenir là, il faut aussi y inclure toutes les autres dépenses qui résultent de ses engagements à nous protéger, à instruire nos enfants, à faciliter nos déplacements,… autrement dit, le budget ou plutôt tous les budgets à venir. Comme l’État est immortel, la dette est infinie. Ce qui finalement n’est pas si mal, car comme on ne peut rien contre une dette infinie, ce n’est pas la peine d’essayer de la réduire. Tout va très bien, madame la marquise !

Redevenons sérieux. Les dépenses actuelles et à venir pour les fonctionnaires et toutes les autres dépenses qui résultent des engagements de l’État ne sont pas des dettes. Ces dépenses, annuelles, ont une contrepartie, celle qui résulte de l’engagement que nous avons pris, ou plutôt que l’État nous a fait prendre, de payer des impôts.

Jean Célestin

PS : Je ne mets évidemment pas en doute le fait que les pensions des fonctionnaires pèseront davantage dans le budget de l’État dans les années à venir que maintenant. Il en est de même des pensions du privé dans le budget de la Sécurité Sociale. Dans les deux cas il y aura aggravation des dépenses, mais pas pour autant aggravation des dettes.


Pénombre, Mars 2006