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Pénombre

J’étais dans une de ces forêt où le soleil n’a pas accès mais où, la nuit, les étoiles pénètrent. Ce lieu n’avait le permis d’exister, que parce que l’inquisition des États l’avait négligé. Les servitudes abandonnées me marquaient leur mépris. La hantise de punir m’était retirée. Par endroit, le souvenir d’une force caressait la fugue paysanne de l’herbe. Je me gouvernais sans doctrine, avec une véhémence sereine. J’étais l’égal de choses dont le secret tenait sous le rayon d’une aile. Pour la plupart, l’essentiel n’est jamais né, et ceux qui le possèdent ne peuvent l’échanger sans se nuire. Nul ne consent à perdre ce qu’il a conquis à la pointe de sa peine ! Autrement ce serait la jeunesse et la grâce, source et delta auraient la même pureté.

J’étais dans une de ces forêts où le soleil n’a pas accès mais où, la nuit, les étoiles pénètrent pour d’implacables hostilités.

René Char

Fureur et mystère, Les loyaux adversaires, Gallimard, 1948, (Collection poésie, 1991).
Texte proposé par Jean-Paul Parmantier

 
 Octobre 1994