En septembre dernier, dans un interview publié dans la revue Dedans-dehors, de l’Observatoire international des prisons (OIP), Antoine Garapon, directeur de l’Institut des hautes études sur la justice, affirme la chose suivante : « Non, on ne peut pas supprimer la prison, il faut sortir de l’idéologie soixante-huitarde tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il y a des salauds. La prison reste dans la cité comme un lieu dans lequel on marque la réprobation absolue, dans lequel on contient les gens avec lesquels on ne peut rien faire d’autre. Mais à mon avis ils sont une petite minorité par rapport aux 50000 détenus actuels, ils représentent au maximum 10000, 15000 personnes. Ils sont dangereux parce qu’ils ont échappé à toute régulation ou sont inaccessibles à tout débat. » Une inconnue tout de même. Ces « salauds », « dangereux » et « inaccessibles à tout débat », combien de temps devraient-ils être « contenus » en prison ? 30 ans ? 20 ans ? 10 ans ? 5 ans ?
De la réponse à cette question dépendra évidemment le nombre d’individus mis en détention chaque année. Si l’on se réfère au modèle de la « population stationnaire », l’effectif moyen P de la population carcérale - à un instant donné - au cours de l’année n est égal au produit du nombre d’entrées E de l’année n (le flux d’entrées) par d, durée moyenne de détention exprimée en années (1).
d |
30 ans |
20 ans |
10 ans |
5 ans |
P |
10 000 à |
10 000 à |
10 000 à |
10 000 à |
E |
300 à |
500 à |
1000 à |
2000 à |
Ainsi, selon les hypothèses, le nombre de personnes à « sélectionner », chaque année, pour être mis à l’écart, varie de 300 à 3000... Mais comment choisir les malheureux élus ? I1 faudra de préférence des coupables, certes, mais coupables de quoi ? 300 ou 3000, 1a sélection sera sévère. Pour avoir une idée - en ordres de grandeurs - de cette sélection, on peut se référer aux données du ministère de l’Intérieur sur les mis en cause pour crimes et délits, en l995. On compte pour cette seule année 1148 mis en cause pour homicide, 965 pour tentatives d’homicide, 455 pour coups et blessures volontaires suivis de mort, 861 pour prises d’otages ou séquestration, 5747 pour viols, 4595 pour violences, mauvais traitements ou abandons d’enfant, 3927 pour attentats à l’explosif ou incendie volontaire, 7451 pour violences à dépositaire de l’autorité, etc. Arrêtons-nous là. Cela fait déjà plus de 25000 mis en cause en une année. Tous coupables ? Pas avant d’avoir été jugés. Tous des salauds ? Je ne me prononcerai par sur ce type de question. Disons que les faits qui leur sont reprochés sont d’une... certaine gravité. Moralité : peut-on ainsi définir un optimum de population incarcérée (10 à 15000) sans expliquer comment l’atteindre ? L’exercice est un peu périlleux. Vous ne trouvez pas ? Le débat est ouvert.
Pierre Tournier
(1) En 1996, l’administration pénitentiaire a recensé, en métropole, 79938 incarcérations pour une population moyenne de détenus de 52149. Ce qui donne une durée moyenne de 7,8 mois.
Pénombre, Janvier 1998