La semaine dernière, mes fonctions m’entraînaient à Nantes, puis à Vannes et de nouveau à Nantes. Le jeudi, je quittais Nantes à 8 heures pour rejoindre le pont de Cheviré qui enjambe majestueusement la Loire. Des barrages de routiers avec des feux de pneumatiques et autres matériaux de chantier ralentissaient la circulation. A Vannes, après mon rendez-vous, je prenais 20 litres de carburant dans une station vide de clients et reprenais mon circuit de visites, écoutant France Info qui évoquait les manifestations contre la loi travail et évoquait quelques signes de difficultés d’approvisionnement en carburants en France et plutôt dans l’Ouest... A 16 heures, je rejoignais Nantes pour un dernier rendez-vous. A la fin de l’entretien, mon interlocuteur me demandait si je repartais le jour même en Bourgogne, je lui répondais que je passerais la soirée à Nantes et prendrais la route le vendredi matin. Il m’expliquait alors que la ville connaissait une pénurie de carburant en raison de la grève à la Raffinerie de Donges, avec des files d’attente aux stations d’essence et la fermeture en série des plus importantes, lui-même renonçant à un déplacement prévu le lendemain vers La Rochelle.
Sur le chemin du retour, je cherchais donc à faire le plein, constatais que l’hyper Leclerc avait fermé les pompes, de même que Carrefour ou Intermarché, mais aussi les stations Total et quelques autres. Chou blanc, donc, et l’ordinateur de bord indiquait que je pouvais parcourir 677 km avec ce qu’il me restait d’essence. France Info rassurait sur le risque de pénurie de carburants, avec seulement « 12% des stations touchées » et, une heure plus tard, 20% pour le quart nord-ouest de la France.
Le vendredi matin, très tôt, je consultais la carte interactive de Ouest France, autrement inquiétante que les informations de France Info, notant que les ruptures étaient générales sur la région nantaise et s’étendaient jusqu’à Tours ou Chinon. Je commençais à appeler différentes stations-services situées sur ma route et en trouvais une à Ancenis, à 60 km de là, dont le gérant m’assurait qu’il lui restait pour une heure ou deux de carburant. Aussitôt, je prenais la route et me rendais à ce point de vente, faisais la queue pendant quelques minutes et m’appliquais à faire un gros plein. En cours de distribution, la pompe s’arrêtait brutalement, faute de produit à distribuer. L’ordinateur mentionnait alors une autonomie de 673 km, ce qui signifie qu’il manquait deux ou trois litres dans le réservoir.
Mon retour était donc assuré. J’écoutais la radio plus distraitement, on y parlait de ruptures de stock çà et là, dues aux automobilistes idiots qui faisaient des pleins de précaution et vidaient les pompes, et le ministre se voulait rassurant, niant tout risque de pénurie de carburant pour le week-end. Le samedi, les chaînes info relayaient cette communication anesthésiante et consultaient des experts qui, tous, expliquaient que les stocks étaient abondants et que les difficultés ne pouvaient être que très localisées et peu durables. Dimanche soir, je regardais le 20 heures de la 2, où on expliquait de nouveau que ce n’était que 1616 stations en rupture totale ou partielle de carburant (environ 10% des stations, selon iTélé) , avec intervention rassurante du ministre.
Dormez braves gens, on veille sur vous.
L’infographie de la 2 était pourtant autrement inquiétante :
Quelque 1616 stations en rupture (en gros : 50% totale, 50% partielle), c’est bien 13,5% du parc (1 sur 7), mais sur 25 départements (1 sur 4), ce qui, toutes choses égales par ailleurs, suggère que, dans les zones touchées, le taux de rupture est de plus de 50% !
Au fil de mes écoutes, aucun journaliste télé ou radio ne s’est risqué sur ce terrain, préférant illustrer un problème régional par des chiffres nationaux. En revanche, la presse régionale informait correctement, par exemple Ouest France : « Ce dimanche à 17 heures, 143 des 243 du département de Loire Atlantique étaient en rupture, contre 150 samedi à la même heure ». Et Certas Energy France, qui gère des stations-service sous la marque Esso, expliquait : « dans l’Oise, la Seine Maritime et la Somme, il y a des ruptures sur le gasoil quasiment à 100% ».
Que conclure ? Sinon que l’information distillée par les radios et télés nationales est nulle, se contentant de relayer la communication du gouvernement, alors même que différentes préfectures communiquaient des chiffres précis. Leur seule inquiétude qui se prolonge aujourd’hui, c’est : « est-ce que la pénurie peut s’étendre et toucher la région parisienne ? ». Bande d’égoïstes, va ! Et les Nantais, les Bretons, les Normands, les gens de Hauts de France et bien d’autres, vous n’en avez rien à cirer ?
Le défaut d’information est d’autant plus grave que les données (les data) sont facilement accessibles, mais il devient désinformation quand la communication (en l’occurrence, celle du gouvernement) est la seule source d’information.
Comme l’écrivait Didier Hallépée (Nombres en folie) : « Les chiffres sont comme les gens. Si on les torture assez, on peut leur faire dire n’importe quoi ». Alors, mieux vaut ne pas toucher aux chiffres, il suffit de mettre en lumière des chiffres qui, même s’ils ne sont pas truqués, ne sont pas pertinents pour illustrer un phénomène, le résultat sera le même. La douleur en moins ?
Daniel Cote-Colisson