--

Quand y en a pour deux

Les médias nous entretiennent à peu près toutes les semaines de salaires, de revenus, de niveaux de vie, etc. et illustrent leurs propos par des chiffres moyens par personne. Cela paraît simple et semble permettre les comparaisons. Et, pourtant… Supposons - au hasard - un homme, lequel travaille à temps partiel et gagne moins de 1 000 euros par mois. S’il vit seul, il peut difficilement faire face avec ce revenu ; s’il vit avec une épouse ou une compagne qui a un gros salaire il vivra, au contraire, très bien et son revenu personnel constituera éventuellement son argent de poche. Le fait de vivre seul ou dans un ménage change beaucoup, car à l’intérieur de cet ensemble ceux qui gagnent peu ou ne gagnent rien bénéficient de ceux qui gagnent plus. C’est pourquoi les enfants, qui, par principe, n’ont pas de revenu du tout, sont, néanmoins, pauvres ou riches(1).

Mais le fait de vivre en ménage fait aussi réaliser des économies, de grosses économies. Un couple n’a besoin que d’un logement, ce qui revient nettement moins cher que les deux logements de deux personnes seules, même si celui du couple est plus grand que ceux des solitaires ; que d’une voiture, que d’une chambre d’hôtel, etc. Ainsi un couple qui gagne 3 000 euros, soit 1 500 par personne en moyenne, vivra nettement mieux qu’une personne seule qui gagne également 1 500 euros. C’est pour tenir compte de ces économies d’échelle que les économistes mesurent les revenus par « unité de consommation ». Ces « unités » ne sont cependant pas faciles à établir. Deux systèmes sont bien connus et souvent utilisés, celui d’Oxford et celui de l’OCDE. Dans le premier système, le premier adulte d’un ménage, ou le seul s’il n’y en a qu’un, compte pour une unité de consommation ; chacune des autres personnes de 14 ans ou plus pour 0,7 et chacun des enfants de moins de 14 ans pour 0,5. Dans le second, utilisé par l’INSEE, les autres membres du ménage comptent respectivement pour 0,5 et 0,3.

Admettons qu’une personne seule ait besoin de 1 500 euros par mois pour vivre décemment, les promesses du Smic à ce niveau semblent conforter cela. Encore qu’il s’agisse d’un Smic brut, celui touché étant bien inférieur. Supposons un couple avec deux enfants qui dispose de 4 000 euros, ce qui donne 1 000 euros par personne, valeur bien inférieure à ce niveau. Mais par unité de consommation avec le système de l’OCDE-INSEE cela fait 1 910 euros (soit, 4 000/ (1+0,5+0,3+0,3)). Autrement dit, les personnes de ce ménage, malgré leurs 1 000 euros en moyenne, ont un niveau de vie supérieur à celui de la personne seule qui en gagne 1 500. Ou encore, supposons un couple qui gagne 2 500 euros, soit 1 250 par personne. Cela fait avec ce même système 1 667 euros, soit plus que la personne seule qui gagne 1 500 euros.

Cette prise en compte du mode d’habitation dans le niveau de vie est donc fondamentale. Si aujourd’hui de plus en plus de monde a du mal à boucler ses fins de mois, c’est certes parce que les revenus n’augmentent pas beaucoup et parce que la précarité de l’emploi se développe, mais aussi parce que de plus en plus de gens vivent seuls, tout “seuls” ou seul avec leurs enfants. Qu’en conclure ? Qu’il faut inciter les gens à vivre en couple, en famille, en frérèche, en phalanstère ou en « grand appartement » pour augmenter leur niveau de vie ? Chacun fait ce qu’il veut. Par contre un peu plus de subtilité et de clarté dans ces questions ne ferait pas de mal.

Alfred Dittgen

(1) Il y a quelque temps une organisation caritative nous alertait sur le grand nombre d’enfants pauvres dans notre pays : 2 millions. Même si l’ironie est ici mal placée, on ne peut s’empêcher de faire remarquer que cette association avait peu de chances de trouver des enfants riches dans les familles pauvres dont elle s’occupe.