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Se souvenir des belles choses

Merci au comité éditorial de Pénombre d’avoir publié la communication de Pierre au congrès de Séoul « Ombre ou Lumière », concernant notre première rencontre dans le TGV Paris-Lausanne, le 27 octobre 1992, un mardi si ma mémoire est bonne. Même si son récit comprend quelques petites inexactitudes. Je voudrais faire seulement deux rectifications. On ne peut pas dire que j’ai « connu » le fondateur de la psychanalyse, comme Pierre l’écrit. Je n’ai rencontré le docteur Freud qu’une fois, en 1927, dans une circonstance assez exceptionnelle. Celui que mon frère Gerd et moi appelions Oncle Romain (Romain Rolland, qui était un ami très proche de mes parents) était venu à Vienne pour les festivités organisées à l’occasion du centenaire de la mort de Beethoven, le 26 mars 1927. Il fut introduit auprès de Freud par un ami commun, Stefan Zweig, et j’eus la chance d’assister à cette rencontre ; c’était l’après-midi du 27 mars 1927 au 19 de la Berggasse. J’avais 20 ans. Romain Rolland en avait 61, Stefan Zweig 46 et Freud 71. Stefan Zweig venait de publier La confusion des sentiments, ouvrage qui comprenait aussi deux autres nouvelles, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme et Destruction d’un cœur. C’est ce troisième texte qui fut au centre de la conversation des trois hommes. Je ne dis pas un mot ! Comme vous le savez, il est question d’un vieil homme qui ne supporte pas de voir sa fille Erna – 19 ans – devenir adulte et qui devient « fou de jalousie ». Romain Rolland voyait là l’une des plus lucides tragédies de la vie moderne, de l’éternelle humanité. Les notes que j’avais rédigées le soir même furent perdues quand je dus quitter l’Autriche en juillet 1931. Je me souviens seulement que le Docteur Freud parla peu. Il trouvait la nouvelle « inférieure » aux deux autres. Je me souviens tout de même de cette phrase dite avec une voix caverneuse : « Le destin de cet homme nous laisse froid ». Il semblait au contraire très affecté par cette histoire. Peut-être la rencontre, qui avait duré moins d’une heure, se termina-t-elle par ces mots ambigus. La deuxième rectification, c’est que je ne suis pas née en 1915 ! Hélas, trois fois hélas. Mais quittons ce siècle d’ombres.

J’ai relu récemment un superbe numéro de la revue Autrement publié en 1991 que le Colonel m’avait achetée chez notre petit libraire de Menton, un jour de l’hiver 1993. Son titre ? Lumière. Mon bien cher époux prétendait que mon intérêt trop envahissant à son goût, et non démenti depuis lors, pour Pénombre allait me donner des idées noires. Antidote ou pas, à nos écrits pénombresques, Lumière offre un bien beau triptyque : Ombre, Clair-obscur, Illuminations. Pour vous donner envie de lire ces textes de philosophes et de créateurs, je vous offre – si je puis dire – ces quelques lignes de l’écrivain et poète Andrée Chedid.

Avant de vous quitter, un mot à propos de la pauvre Blanche dont les neurones ont été mis dans un sale état par certains de nos auteurs qui les ont bombardés de considérations par trop mathématiques (semble-t-il). Comme notre amie – qui j’espère va revenir sur sa décision de quitter notre compagnie –, je pense que la Lettre Blanche doit conserver son aspect « mosaïque » où des textes plus littéraires, voire poétiques ou romanesques, viennent rythmer la revue et nous permettent de reprendre notre souffle.

Clara Halbschatten, professeur de mathématiques en retrait(e)
 

 
Pénombre, Juillet 2002