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Sociologie des ténèbres (suite)

Certains aiment affirmer que l’on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut. Mais n’en est-il pas de même des mots ? Défiance… et illustration.
 

Rappel de l’épisode précédent : Le Monde du 25 juin 1997 rend compte d’une enquête, par sondage, réalisée par « Jeunes en question », association créée en 1996 qui regroupe différents partenaires. Ce sondage réalisé, en mars et avril 1997, auprès de 2105 jeunes de 15-29 ans semblait donner une image des plus noires - au sens chemise noire - de notre jeunesse : la population était ainsi subdivisée en 5 classes dont trois d’entre elles (65%) semblaient se définir principalement par la volonté de voir rétablir la peine de mort et de lutter contre l’immigration clandestine et/ou la présence des travailleurs immigrés.

Nous avons pu nous procurer le rapport d’enquête. Aussi nous nous proposons pour chacun des groupes - typologie obtenue par la méthode dite des « nuées dynamiques » - de compléter la caractérisation issue de l’article du Monde par quelques commentaires trouvés dans le rapport. Puis nous vous proposons une nouvelle présentation synthétique (sic) des résultats de ce sondage fort riche en interprétations possibles.

 

Le Monde (extraits) :

« Des 15-29 ans ultraconformistes »

La première classe (28%) est « plutôt favorable à la lutte contre l’immigration clandestine et au rétablissement de la peine de mort ».

« Moins attachés aux valeurs traditionnelles », les jeunes de la deuxième classe (16%) sont « favorables à la peine mort, à l’isolement des malades du SIDA. Ils estiment trop nombreux les travailleurs immigrés. »

« La troisième catégorie (21%) présente sans doute le profil le plus marqué. […] Ils disent oui à la peine de mort et à la lutte contre l’immigration clandestine. »

Ceux de la quatrième classe (20%) sont « hostiles à la peine de mort et à la lutte contre l’immigration clandestine […]. Ils utilisent internet et se rendent régulièrement à la messe ».

Quant à la cinquième classe, les « rebelles » (14%), ils pensent que « le tag c’est de l’art ».

 

Le rapport (extraits) :

« Sondage auprès des 15-29 ans »

 - 1. Les moralisateurs (1) (28%) : « Bien que relativement plus sensibles que la moyenne à certaines thèses extrémistes (sécurité, peine de mort, immigration), ils sont toutefois plus nombreux à trouver que la montée du FN est préoccupante. […] D’autre part, s’ils restent critiques vis-à-vis du pouvoir politique en général, ils accordent plus souvent leur confiance aux institutions (justice, santé, média). »

 - 2. Les conservateurs (16%) : « Une plus grande sensibilité que la moyenne aux thèses de l’extrême droite […], ils sont également moins nombreux à estimer que la montée du FN est préoccupante […] On constate également au sein de ce groupe, se déclarant plus proche du RPR (32% contre 12% en moyenne) une moins grande défiance vis-à-vis du pouvoir politique et des institutions (justice, santé). »

 - 3. Les révoltés (21%) : « Ils sont plus critiques que la moyenne vis-à-vis de l’ensemble des institutions […] Par ailleurs, ce groupe est très favorable aux thèses extrémistes concernant : la sécurité, la peine de mort, l’immigration, l’isolement des malades du SIDA. D’autre part aucun parti politique ne trouve grâce à leurs yeux (55%) en dehors du Front National (12% contre 5% en moyenne).

 - 4. Les libéraux (20%) : « Ce groupe se caractérise par une plus grande confiance dans le progrès, le système social et les institutions qui le composent. Ils sont ainsi plus nombreux que la moyenne à faire confiance : aux hommes politiques et à leurs actions, à la justice, au système de santé, à l’éducation nationale, aux médias, à la construction européenne […] Très fortement préoccupés par la montée du Front national. »

 - 5. Les provocateurs (14%) : « Ils sont très proches des partis de gauche […] Ils sont très nettement opposés aux thèses extrémistes (insécurité, peine de mort, immigration, isolement des malades du SIDA) et préoccupés par la montée du Front National. »

 

(1) Les dénominations sont reprises du rapport. A ce propos les auteurs précisent que l’appellation attribuée à chacune de ces classes renvoie (sic) à un référent (resic) sociologique et non politique. S’ils le disent...

 

Autre présentation possible (extra) :

« les 15-29 ans : une jeunesse républicaine »

Les « moralisateurs (28%) sont particulièrement préoccupés par la montée du Front national. Ils ont plutôt confiance dans la justice de leur pays et les médias. Très confiants dans le système social et les institutions qui le composent, les « libéraux (20%) sont fortement préoccupés par la montée du parti néofasciste. Les « conservateurs » (16%) sont peu préoccupés par la montée du FN. Ils manifestent moins de défiance vis-à-vis du pouvoir politique ou de la justice de leur pays. Très proche des partis de gauche, le quatrième groupe curieusement appelé les « provocateurs » (14%) est très nettement opposé aux thèses extrémistes : insécurité, peine de mort, immigration, isolement des malades du SIDA. Enfin, les « révoltés » représentent 21% de la population étudiée. Plus critiques que la moyenne vis-à-vis de l’ensemble des institutions, aucun parti politique ne trouve grâce à leurs yeux pas même le Front national.

 

Pierre Tournier

 
Pénombre, Juin 1998