UN RAPPORT de deux éminents médecins estime qu’il y a trop de petits hôpitaux. Le journaliste qui en rend compte (Le Point du 6 décembre, p. 80) ne relate aucun argument de commodité (proximité) ni de qualité médicale. On ne sait donc si ces médecins s’en sont préoccupés. Tout ce qu’on nous en dit est : 1) que la densité géographique est chez nous supérieure à ce qu’elle est à l’étranger (et alors ? qu’est-ce que ça prouve ?) et 2) que cela résulte d’une « politique médiévale » des élus locaux (ce qui est une opinion plus qu’un critère).
On nous dit encore que 75 % des hôpitaux en service depuis 20 à 30 ans n’ont pas été réhabilités : comme on ne sait ni en quoi consiste une réhabilitation, ni ce qui la rend nécessaire, ni si un tel délai est anormal, ce pourcentage de 75 ne mesure rien de tangible.
Enfin, pour enfoncer le clou, il paraît que le ministre de la Santé parle de 68,6 % d’hôpitaux vétustes et sous-équipés. L’apparente précision de ce dernier pourcentage donne le sentiment qu’on mesure avec rigueur une réalité objectivement définie. Il n’en est rien ! La vétusté comme le sous-équipement (par rapport à quoi ?) sont des notions subjectives et vagues. On peut tenter de les objectiver à l’aide de critères matériels (quantifiés ou non). Mais le choix des critères à retenir pour ce faire, comme le choix des seuils qui coteront la vétusté ou le sous-équipement lorsqu’ils seront franchis, ne peuvent se faire qu’à dire d’expert. Ce qui laisse une bonne part de subjectivité chez chaque expert et de variabilité de l’un à l’autre ; sans compter l’inévitable arbitraire de décider comment on détermine lesdits experts. Dans ces conditions, on pourrait tout au plus dire : « Selon les appréciations des experts, commis par le ministre, il y aurait environ les deux tiers des hôpitaux qui seraient vétustes ou sous-équipés ». Les conditions arbitraires et contingentes de la détermination de la proportion en question ne permettent sûrement pas de donner un pourcentage au point près ; a fortiori avec une décimale !
A trop vouloir prouver …. Si le lecteur attentif que devrait être tout citoyen est intrigué par cette excessive précision, il devra non seulement ne pas accorder foi à ce qu’on lui dit, mais encore se demander pourquoi « on » pense utile de le lui dire. Il risque alors fâcheusement de se dire que les médecins hospitaliers, comme beaucoup, veulent toujours des équipements plus perfectionnés, mais que c’est une pente techniciste ; que l’on aimerait simultanément avoir un bilan de la corrélation (positive ? négative ?) entre la taille des établissements et le risque nosocomial, dont on dit par ailleurs qu’il est un des problèmes majeurs de l’hospitalisation et un important facteur de la mortalité hospitalière ; que le ministre n’est, à ce qu’on dit, pas insensible au lobby médical (on prend du reste souvent un médecin comme ministre) ; que les services de ce même ministre (que Bercy nomme si élégamment « services dépensiers ») ont à cœur de justifier leur utilité en promouvant des politiques, qui ne sont jamais évaluées ; … bref, tout un tas de pensées perfides et perverses qu’il vaut mieux que les citoyens n’aient pas. Et qui, du reste, ne sont pas plus fondées ni évaluables que ce qu’elles critiquent !
Mais, rassurez-vous : n’ayant pas eu dans leur éducation civique de quoi se prémunir contre l’inanité des chiffres qu’on leur brandit, les citoyens n’auront pas de telles pensées.
René Padieu
Pénombre, Avril 2003