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UHT ou à jeter

UN SOIR, je prends dans mon placard une brique de lait UHT. Je lis : “ à consommer avant le 14-02-04, 21h53 ”.

Quelle précision : on n’arrête pas le progrès ! Pour que le fabricant ait cru devoir indiquer non seulement le jour, mais l’heure de péremption, il faut sûrement que son lait devienne impropre à la consommation ce jour-là et à cette heure précise. Puis, je réalise : le 14 février, c’est aujourd’hui. Ciel ! Il me reste trois litres ; et je n’ai plus que trois-quarts d’heure … Alors, pour ne rien laisser perdre, j’entreprends d’en boire illico un grand verre ; puis un autre ; un autre encore. Courage, Mélanie. Mais, à la fin du deuxième litre, j’ai mal au cœur. Plus possible d’en avaler une goutte. Que faire du dernier pack ? Si au moins j’avais un chat ...

Bon. Soyons sérieuse. Ce lait UHT est mis en vente plusieurs mois avant la date de péremption écrite sur la boîte. Il ne perd ses qualités que progressivement. Il ne devient pas mauvais instantanément, pile à la date indiquée. Du reste, ça dépend de comment on le conserve : en plein soleil ou, comme moi, dans la pénombre d’un placard frais. Certains le mettent même au frigo. Et puis, il y a une marge de sécurité : il doit y avoir un expert qui a déterminé que le lait reste consommable sans risque, par exemple six mois après sa fabrication (conservé à l’ombre quand même et pas ouvert : c’est sur l’emballage). Et il doit y avoir une autorité sanitaire qui ne connaît rien au lait mais connaît le maniement du parapluie : surtout, ne pas se trouver pris dans une “ affaire du lait contaminé ” ! Donc, si l’expert a dit six mois, notre ange-gardien administratif a dû dire trois mois. Ou quelque chose comme ça. Ce n’est donc pas à quelques jours près. Ni même à quelques semaines, peut-être quelques mois près.

Alors, à quoi bon indiquer un jour précis ? On dirait “ à consommer jusqu’en novembre ”, ça serait bien assez. C’est du reste ce que je lis sur une brique de jus d’orange, dans le même placard ; bon, là, c’est jusqu’en mars 2004 : j’ai de la marge. Que pour les yaourts, qui se périment plus vite, on mette le jour, passe. Quoique : j’en ai déjà plusieurs fois mangé dont la date était passée d’une semaine ou deux (gardés au frigo, toutefois) et il me semble que je suis toujours en très bonne santé, merci. Mais l’heure !! Si le ridicule tuait...

On me dira peut-être : c’est pour pouvoir identifier le lot de fabrication. La machine imprime le jour et l’heure de fabrication. Sainte Traçabilité, priez pour nous !

Et le service qui veille sur nous aura craint que nous ne sachions pas ajouter 3 mois (ou 6, ou tout autre nombre) à la date de fabrication. Ou encore, les commerçants auront objecté que les clients n’auraient pas confiance si la date de fabrication était ancienne. On veut du frais. Pourtant, pour les œufs, une mode est apparue il y a quelques années : on vous marque dessus “ pondu le tant ”. Pourquoi ce qui marche pour les œufs, ne vaut plus pour les yaourts, le lait, le potage en sachet, les conserves de haricots, etc. ? Jusqu’à l’aspirine qui, de nos jours, a une date de péremption ...

En tout cas, le règlement qui nous vaut ces datations aussi universelles que douteusement précises et tous autres règlements ont été, eux, “ pondus ” un certain jour indiqué au Journal Officiel ; mais ils ne portent aucune date de péremption. Ils ne se périment jamais ; ils sont simplement péremptoires.

Mélanie Leclair

 
Pénombre, Mars 2004