UN ARTICLE de I. Ramonet du Monde Diplomatique de juillet 2004, « Violences mâles », traite d’un sujet fort à propos concernant la violence faite aux femmes. Il tend à dire que les facteurs en cause ne sont pas ceux généralement admis tels que le milieu social défavorisé ou la précarité.
Le drame de Marie Trintignant en août 2003 semble venir prouver que cette violence n’est pas l’apanage des milieux défavorisés. Or, aucun argument exposé dans l’article ne permet de corroborer cette assertion puisque les données présentées ne sont que descriptives sans aucune comparaison avec une population de femmes non victimes de violences.
On sait en effet que la causalité (ou le lien causal) entre deux phénomènes, ici violence et statut social, ne peut être établie qu’en comparant les facteurs connus chez les femmes victimes de violences et chez les femmes non victimes. De plus, les méthodes permettant d’appréhender le phénomène ne sont pas clairement présentées.
Des confusions et des imprécisions sont faites entre les déclarations de violences d’un échantillon de femmes et les consultations auprès de médecins ou les plaintes à la police, ou encore avec les violences avec décès.
En réalité, le cas de Marie Trintignant, de milieu dit favorisé, ne remet pas en cause le fait que les violences sont observées généralement dans les milieux défavorisés. En effet, personne n’a jamais dit que les violences survenaient toujours dans ces milieux. En conséquence, le cas de Marie Trintignant ne constitue pas une « preuve » de l’absence du milieu social comme facteur favorisant. C’est comme si on disait qu’un seul fumeur ne présentant pas de cancer du poumon prouvait l’absence de lien causal entre tabac et cancer du poumon ! D’ailleurs, parmi les sources citées dans le rapport Henrion de 2001, l’étude du Dr Chambonnet, à partir de médecins généralistes donc à partir de plaintes de femmes auprès d’un médecin (419 réponses), fait état de 93 % d’alcoolisme (taux beaucoup plus faible dans la population générale), de 52 % de précarité (taux de 10 % en population générale) et de 48 % de milieu défavorisé (idem avec des problèmes de définitions sans doute).
D’autre part, il est fait remarquer que « aux Pays-Bas, presque la moitié de tous les auteurs d’actes de violence à l’égard des femmes sont titulaires d’un diplôme universitaire ». Or, il n’est pas dit quelle est la proportion de titulaires d’un tel diplôme dans la population générale… Si elle est aussi « presque la moitié », la possession d’un diplôme universitaire n’a rien de discriminant ; si elle est de 10 %, cette possession pourrait être un facteur lié à la violence. En France, la proportion d’hommes cadres de plus de 15 ans (sans connaître leur statut marital) est de 8,9 % (Tableaux de l’économie française – Édition 2003-2004 – INSEE). La référence semble être un rapport du Conseil de l’Europe de Mme Olga Keltosova pour lequel les effectifs et les caractéristiques de l’échantillon ne sont pas précisés.
Plus loin, la proportion de cadres parmi les agresseurs est notée à 67 % en France ; il s’agit en fait des agresseurs en cas d’homicides de leurs conjointes, analysés à l’Institut médico-légal de Paris, ce qui n’est pas dit. Cet échantillon représente certainement un biais qui ne permet pas a priori de généraliser.
Dans ces conditions, dire, comme dans tous les articles consultés, que « aucune classe sociale n’est épargnée » ne veut rien dire et ne précise pas les facteurs sur lesquels agir.
Toutes ces considérations ne cherchent pas à nier un phénomène gravissime qu’il faut combattre. Simplement, dans un journal comme le Monde Diplomatique, on aimerait trouver une réelle pertinence des situations évoquées, à savoir tout d’abord une description du phénomène comme le nombre de violences déclarées, soit dans le milieu médical, soit à la police (ce ne sont pas forcément les mêmes), en précisant le type de populations, ou le nombre d’homicides déclarés, ce qui n’est pas la même chose. Ensuite, une analyse des facteurs prédisposant à cette violence, tels que le milieu social, les antécédents familiaux ou l’abus de substances dangereuses doit être clairement présentée avec des précisions sur les échantillons. Certes, la forme journalistique exige concision ou raccourcis et il ne s’agit pas de faire un cours d’épidémiologie, mais les résultats présentés sont soit faux soit imprécis, venant illustrer un propos revendiqué indépendamment des chiffres.
L’heure est en effet à la prévention, qui ne peut se faire qu’après une analyse de causalité, campagne à faire non pas auprès de tous les milieux, mais certainement auprès des groupes à risques dûment identifiés.
Bernard Branger
Ndlr : l’auteur nous permettra de faire remarquer que les enquêtes faites en population générale en 2000 (ENVEFF) – et non, comme pour les résultats évoqués ici, auprès des femmes venues consulter un médecin – n’indiquent pas de liaison générale forte entre le milieu social et les violences conjugales. En revanche, les situations d’instabilité professionnelle semblent bien s’accompagner d’un risque plus élevé.
Pénombre, Novembre 2004