Arnoux Rémusat, Président de l’association nationale des visiteurs de prison (ANVP) et membre de Pénombre nous écrit.
"J’ai lu avec avidité, tant il était attendu, le numéro 2 de Pénombre. On pourrait s’interroger sur un certain nombre de chiffres avancés. Par exemple, les 10 000 tués de la circulation routière : s’agit-il de ceux qui sont morts "sur le coup", dans les heures qui ont suivi l’accident ou dans l’année de référence ?
En ce qui concerne la population carcérale, je souhaiterais poser deux questions :
1. Si l’on veut vraiment savoir combien de personnes sont passées en prison, en 1992, ne pourrait-on pas prendre en compte 3 données
2. Est-il possible de savoir combien de personnes ont fréquenté ces lieux d’enfermement au cours des ans ? Par exemple combien sur dix ans ? (...)".
Réponses :
Nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre (votre) revue.
Voici quelques éléments de réponse.
La statistique des tués de la route, publiée par l’INRETS, prend en compte les blessés décédés dans les 6 jours après l’accident.
Le nombre de personnes ayant passé au moins une journée en détention en 1992 s’obtient, en théorie, en ajoutant au nombre de présents au ler janvier 1992 le nombre d’entrées de 1992, sans "double compte". Mais en pratique, on ne connaît pas le nombre d’entrées sans double compte. Ainsi, ne sait-on pas combien de personnes sont concernées par les 88 586 incarcérations de 1992 (métropole). On sait seulement qu’ils ne sont pas plus de 88 586 ! Une même personne peut être comptée plusieurs fois pour différentes raisons : incarcérations pour des affaires différentes au cours de la même année, incarcérations pour une même affaire à différents stades de la procédure. Prenons un exemple :
une personne
Il y aura deux incarcérations comptabilisées pourtant liées à une même affaire.
Pour les mêmes raisons, il est impossible de savoir combien de personnes ont fréquenté les prisons au cours des dix dernières années. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait un système informatisé qui garde en mémoire (définitivement ?) une trace de la totalité des séjours effectués en prison : les séjours de ceux qui ont bénéficié d’un non lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement, les séjours des condamnés qui ont bénéficié d’une amnistie, voire de l’article 770 du code de procédure pénale (peines effacées à la demande du tribunal pour enfants) etc. L’existence d’un tel fichier, beaucoup plus riche que le casier judiciaire actuel et digne de BIG BROTHER, aurait évidemment quelques intérêts sur le plan scientifique, mais à quel prix !
Pierre Tournier
Pénombre, Mars 1994