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63 ou 65 : quelle « France entière » ?

Pour ajouter à une certaine confusion entourant la publication annuelle des populations légales ou des résultats du recensement, la prise en compte des départements, régions ou communautés d’outre-mer peut perturber la lecture et la mémorisation des résultats. On a fini par s’habituer à voir circuler deux chiffres, l’un pour la France entière (entendez avec les DOM) et l’autre pour la métropole. Tout jugement sur la pertinence du découpage et des dénominations mis à part, le chiffre métropole reste indispensable puisque quantité de données officielles ne sont diffusées que pour cette aire géographique. Depuis le 1er janvier 2010, nous sommes donc officiellement 63,6 millions d’habitants en France (au 1er janvier 2007), mais seulement 61,8 millions pour la métropole.

Un peu moins de 2 millions d’écart. Et voilà qu’arrivent deux chiffres avec encore 2 millions d’écart : un 65 millions pour la population totale et un 63 millions pour la population municipale (63,6, mais on ne regarde pas toujours les décimales). Et, en regardant rapidement les résultats, on observe que ce 65 millions revient à 63,2 en ne considérant que la métropole. Alors tout semble revenir en place, 65 millions, ça fait beaucoup, surtout si finalement cela valait pour 2007 (on ne se souvient pas avoir célébré la naissance du soixante-cinq millionième « Français »… étrangers résidents compris !), mais en retirant les « Français un peu à part » que sont les domiens on revient au chiffre habituel, un gros 63 pour la métropole. Soyons donc fiers d’être 65 millions !

Plus sérieusement, comme le signalait Alfred Dittgen dans le numéro 43 de cette Lettre Blanche, l’adoption de l’aire et de la dénomination « France entière » à partir du recensement de 1999 est une source potentielle d’erreurs d’appréciation des évolutions démographiques. Ainsi, malgré cette volonté de complétude dans la diffusion des résultats du recensement, il a bien fallu mettre à part (dans le Journal officiel de la République française) les habitants de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivités territoriales d’outre-mer main¬tenant séparées des départements (les deux premières ont été séparées de la Guadeloupe en 2007, d’où 44 375 habitants de moins en France). La départementalisation de Mayotte, à l’inverse, pourra faire « gagner » environ 160 000 habitants.

Certaines sources statistiques, en suivant cette quête de la « France entière » ajoutent l’ensemble des collectivités territoriales d’outre-mer. Ainsi la statistique pénitentiaire (66 089 personnes sous écrou au 1er janvier 2010) comptabilise les effectifs du centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle Calédonie) depuis le 1er janvier 1990, du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania et des maisons d’arrêt de Uturoa et Taiohae (Polynésie française) depuis le 1er janvier 1998, des maisons d’arrêt de Majicavo (Mayotte), Mata-utu (Wallis-et-Futuna) et du centre pénitentiaire de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis le 1er janvier 2003. Imaginez le casse-tête que représente le calcul d’un taux de détention par rapport à la population « totale » ! Quelle angoisse à l’idée qu’un Polynésien détenu à Uturoa même pas compté à part dans la population totale de la France1 puisse devenir compté à part entière en raison de son transfert pénitentiaire à la maison d’arrêt de Vannes pour audition par un juge d’instruction local et ainsi compté dans la population totale du Morbihan comme le lycéen de Saint Pierre Quiberon (ce qui sera le cas si son transfert a eu lieu juste avant le recensement dans les établissements pénitentiaires en France) ! La statistique de police (si souvent dite à tort statistique de criminalité) demeure quant à elle imperturbablement hexagonale tandis que la statistique judiciaire offre un champ variable selon les matières (pénale, civile) et les sources.

La rédaction

1. Journal officiel de la Polynésie française du 18 janvier 2008, décret n° 2007-1886 du 26 décembre 2007 authentifiant les résultats du recensement de la population effectué en Polynésie française en 2007, article 1 : « La population municipale de la Polynésie française est arrêtée à 259 596 habitants. La population totale de la Polynésie française est arrêtée à 264 736 habitants ». Notre détenu a été compté ici (à supposer qu’il ait été présent au moment du recensement quinquennal, soit le 20 août 2007). Mais la population municipale de la Polynésie française n’est pas comprise dans la population municipale de la France (63,6 millions).