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Recensement 2007 : une bonne cuvée ?

Depuis décembre 2008, les résultats du recensement sont devenus un « marronnier » pour la presse : la loi impose dorénavant la publication, chaque 31 décembre, des populations légales en vigueur pour l’année à venir. Les journalistes disposent donc maintenant d’une année entière pour se préparer et mettre à niveau leurs connaissances. Mais la (relative) technicité du sujet semble encore trop élevée pour certains d’entre eux, surtout pour ceux qui considèrent que recenser les résidents français ne devrait pas être trop compliqué : y a qu’à les compter. Ne riez pas, vous ne pouvez pas savoir combien de fois j’ai entendu cette phrase !

Yaka choisir une convention !

Un détour par les définitions données par l’Insee permet de comprendre ce qui est en jeu. « Le recensement de la population a pour objectifs le dénombrement des logements et de la population résidant en France et la connaissance de leurs principales caractéristiques ». L’ordre des termes n’est pas neutre puisque la vraie unité de compte dans l’affaire est le logement, les personnes (terme technique) ne venant qu’en second, même si la finalité administrative première est bien le comptage des résidents.

La population alors ? Facile me direz-vous, sauf que les personnes doivent être rattachées à une commune ! Et là, ça se complique : où compter les élèves pensionnaires dans une commune différente de la résidence de leurs parents ? Et les militaires encasernés dont la famille réside dans une autre commune que la caserne ? Et les détenus : résident-ils dans la commune où est situé l’établissement pénitentiaire ?

À chacune de ces questions il faut bien fournir une réponse et si possible toujours la même. En bref, « il n’y a qu’à » fixer une convention. Et du coup, il faut abandonner l’idée qu’il n’y aurait qu’à les compter, puisque le chiffre obtenu sera conventionnel, résultant de choix explicites. Voici donc les conventions adoptées par l’Insee.

« Le terme générique de populations légales regroupe pour chaque commune sa population municipale, sa population comptée à part et sa population totale qui est la somme des deux précédentes. »

La population municipale comptabilise les personnes ayant leur résidence habituelle sur le territoire de la commune. La population comptée à part prend en compte des personnes qui ont leur résidence habituelle dans une autre commune mais ont conservé une résidence sur le territoire de la commune.

population totale d’une commune = population municipale + population comptée à part

De ces définitions il résulte que les personnes de la population comptée à part pour une commune sont aussi comptées dans la population municipale d’une autre commune. Et, comme il est explicitement précisé dans les définitions de l’Insee, pour éviter les doubles comptes quand on agrège des communes, il ne faut additionner que les populations municipales. « Le concept de population municipale correspond désormais à la notion de population utilisée usuellement en statistique » (Insee).

Bon, mais alors, les conventions étant fixées, c’est simple, donc ? Si on veut… Les trois exemples ci-dessus proviennent directement de la définition donnée par l’Insee de la population comptée à part. Selon cette définition, on ne les traite plus désormais de la même manière que lors du recensement de 1999. Ajoutons que ces trois exemples renvoient même à quatre définitions puisque les élèves et étudiants se subdivisent en deux sous-catégories selon qu’ils ont plus ou moins de 25 ans : les plus de 25 ans, qui étaient comptés à part, sont maintenant intégrés dans la population municipale ; à l’inverse, les moins de 25 ans qui figuraient dans la population sans double compte en 1999 sont aujourd’hui comptés à part... Ainsi, un lycéen pensionnaire à Auray (12 435 habitants, population municipale 2007) dont les parents résident à Saint Pierre Quiberon est compté une fois dans la population municipale de Saint Pierre Quiberon et une fois dans la population comptée à part d’Auray. En 1999, c’était exactement le contraire. Notre lycéen compte pour un dans la population municipale totale du Morbihan et pour deux dans la population dite totale du Morbihan, qui est la somme des populations totales des communes du Morbihan.

Tu fronces les sourcils, lecteur, et tu as raison : nous avons bien vu que « pour éviter les doubles comptes quand on agrège des communes, il ne faut additionner que les populations municipales. » Pourtant, malgré les doubles comptes, on ajoute officiellement des populations totales pour certains regroupements de communes, en particulier pour les départements et les régions.

En effet, ces définitions des populations légales ont des utilités différentes :

  • - en gros, la population municipale sert à compter yaka konté et à allouer le nombre de députés et de sénateurs à chaque circonscription électorale (découpage compatible avec les communes, ou fractions de communes pour Paris-Lyon-Marseille) ;
  • - la population totale sert de référence à de nombreux textes réglementaires et à la répartition des budgets1.

Gardons en tout cas à l’esprit pour la suite de notre histoire que la somme des populations totales de toutes les communes de France n’a, elle, aucune utilité. Elle n’a aucune signification et ne devrait figurer dans aucun tableau de populations.

population totale de la France ≠ somme des populations totales des communes de France

La cuvée 2007 (dégustée en 2010)

Maintenant que le décor est en place, on doit pouvoir tenter de répondre à la question « mais alors, combien sommes-nous en France ? », celle qui fait de bons titres dans la presse. La réponse n’est pas simple non plus : il faut au moins savoir où et quand.

Où ? Mais en France ! Oui, mais quelle France ? Avec ou sans les départements et les territoires d’outre-mer ? Lecteur, tu trouveras quelques éléments de réponse un peu plus loin dans ce dossier.

Quand ? Mais là, maintenant, tout de suite ! Non, on ne peut, bien sûr, avoir immédiatement le résultat d’un processus aussi complexe que le recensement. Celui-ci permet d’avoir à la fin de l’année n les chiffres concernant la population de la France pour l’année n-2. C’est ainsi que l’Insee a fourni à la fin de décembre 2009 les chiffres donnant les populations des communes, départements et régions en 2007. Ce sont ces chiffres, authentifiés par décret, qui seront utilisés, à partir du 1er janvier 2010 et jusqu’à la fin de cette année, dans les « dispositions législatives ou réglementaires qui font référence à la notion de population » (Insee).

Cependant, l’Insee fournit aussi en janvier de chaque année une estimation de la population de la France au 1er janvier de l’année en cours. On peut donc voir à deux ou trois semaines d’intervalle des titres donnant des chiffres nettement différents pour la population de la France. Il faut simplement savoir qu’ils font référence à des dates différentes.

Mais cette année, le lecteur parcourant la presse dans les premiers jours de janvier était pris de vertige : suivant les moments et les médias, la France perdait, gagnait ou reperdait plus d’un million de personnes. Des migrations instantanées à faire trembler le ministre de de de et du.

Le 31 décembre 2009, l’Insee diffusait un communiqué de presse ainsi formulé : « Les populations légales des 36 686 communes françaises, des cantons, arrondissements, départements, régions et collectivités territoriales, ont été authentifiées par le décret n°2009-1707 du 30 décembre 2009. Elles sont désormais disponibles sur le site insee.fr. Elles prennent effet au 1er janvier 2010 ».

Le communiqué mentionnait aussi ceci : « Au 1er janvier 2007, la France (métropole + DOM) comptait 63 601 002 habitants. » (très joli nombre au demeurant presque tout rond, et aux milliers presque ronds ...)

Ce même 31 décembre, l’AFP diffuse une dépêche portant pour titre : « Recensement 2007 : la France compte 65 millions d’habitants », précisant dans le texte : « La population de la France s’élevait officiellement à 65.031.022 habitants en 2007 ». L’AFP contredit donc le communiqué de l’Insee. Pourquoi cela ? En cliquant sur un lien proposé dans cette dépêche, on arrive à la page du site internet de l’Insee donnant le détail des populations légales par région ou par département. Là, un simple clic fait arriver au tableau où, summum de la pédagogie statistique, figure en tête de colonne, pour la « France métropolitaine et DOM » une « population municipale » de 63 601 002 et une « population totale » de 65 031 022. La case qui ne devrait pas être remplie, celle qui donne un total sans aucune signification ni utilité, est remplie ! Pourquoi alors le journaliste pressé irait-il lire la note située au-dessus du tableau : « Le concept de population municipale correspond à la notion de population utilisée usuellement en statistique. La population totale inclut des doubles comptes. » L’AFP, qui attendait ces chiffres, a donc peut-être dégainé sa dépêche plus vite que l’Insee son communiqué : le décret était déjà signé depuis la veille, et les tableaux par régions et départements étaient publics. En tout cas, un chiffre absurde était lâché en liberté.

C’est le début d’une belle carrière pour ce 65 031 022 et d’une jolie valse-hésitation dans les médias :

Le 1er janvier, Le Figaro titre : « La France compte 65 millions d’habitants » et reprend les chiffres erronés de la dépêche AFP, puis fait la comparaison avec le nombre issu du dernier recensement exhaustif de 1999, 60 millions, et en déduit un accroissement relatif de 8,33 % entre cette date et 2007. Sauf que, pour 1999, il s’agit bien de la population « sans double compte ». En réalité, l’accroissement est de 5 %.

Le 2 janvier, sous le titre « 63.601.002 habitants en France » (avec les points !), Libération.fr reprend la dépêche presque mot pour mot, mais rectifie vaillamment tous les chiffres en insérant un paragraphe très pédagogique expliquant pourquoi il ne faut additionner que les populations municipales.

L’article en ligne sur LeMonde.fr a sans doute subi un remaniement important entre la première édition (à 15h46 le 2/01/10) et la version définitive (17h47, le même jour). Indice : le nom de la page « La France compte 65 millions d’habitants » est devenu dans le titre de l’article « La France compte 63,6 millions d’habitants » !

Comme Le Figaro, il reproduit la comparaison avec les 60 millions de 1999 et relève curieusement le même accroissement de 8,33 %... On peut lire cependant que « Le Journal officiel publie aussi la population totale des communes françaises, bien supérieure (65 031 022 habitants) en raison des personnes ayant deux résidences et ainsi comptées deux fois. Pour que ces personnes ne soient pas comptées deux fois, la population de la France est égale à la somme des populations municipales. Elle s’établit à 61 795 550 habitants en France métropolitaine et 1 805 452 dans les départements d’outre-mer. » (n.d.l.r. Les personnes hospitalisées en long séjour en dehors de leur commune de domicile habituel apprécieront d’être considérées comme ayant « deux résidences »).

La version papier du Monde, datée du mardi 5 janvier 2010, reprend en titre les 65 millions d’habitants. Le texte donne le gloubi-boulga suivant : « selon ce calcul, qui prend en compte les doubles résidences, la France compte 65 millions d’habitants. » C’est factuellement faux. Aux deux tiers de l’article, même confusion : « au 1er janvier la population légale de la France atteignait 65 millions d’habitants, ce qui correspond à une population "statistique" de 63,6 millions d’habitants - ce dernier chiffre exclut les doubles comptes de la population "légale". » Si vous ne voyez pas l’erreur, reprenez au début.

Enfin, nulle part dans le texte n’est mentionné le millésime de l’année pour laquelle est donnée la population légale. Contrairement à ce que pourrait penser le lecteur du Monde, cette population n’est pas celle de 2010, mais de 2007. Le 1er janvier 2010 n’est en effet que la date d’entrée en vigueur des populations légales 2007, comme on l’a vu.

Rappel (de l’Insee) à la Loi

Le décret du 30 décembre 2009 authentifiant les populations a été publié au Journal officiel du 31 décembre 2009 (texte n°75), avec, en annexe, des tableaux de populations légales incluant les chiffres fournis par l’Insee. À la fin de deux tableaux, par région puis par département, à l’intersection de la ligne « France entière » et de la colonne « population totale », figure le 65 031 022. Le décret2 ne s’embarrasse pas de méthodologie : rien n’est dit sur la population comptée à part ni sur les doubles comptes. Et son article 3 se contente d’annoncer que « sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le chiffre de la population totale est celui auquel il convient de se référer pour l’application des lois et règlements à compter du 1er janvier 2010 ».

Un décret est un décret. Celui du 30 décembre 2009 dit que la population totale de la France est de 65 031 022 à compter du 1er janvier 2010. Rendez à César…

François Sermier

1. En réalité, c’est (encore) un peu plus compliqué car la vraie clé de répartition budgétaire est un troisième chiffre, la population dite DGF c’est-à-dire au sens de la dotation globale de fonctionnement. Cette population DGF est définie dans l’article L2334-2 du Code Général des Collectivités Territoriales. Cet article dit essentiellement - il y a des subtilités - que la population DGF est la population totale majorée d’un habitant par résidence secondaire et d’un habitant par place de caravane située sur une aire d’accueil de gens du voyage (à condition que la dite aire soit conforme aux normes en vigueur).

2. Il y a réitération puisque le décret équivalent de décembre 2008 adoptait en tout point la même présentation.