L’ année internationale de la planète Terre ne sera peut-être pas finie quand paraîtra cette Lettre ronde. Mais l’exposition Aux sources de la terre, présentée du 30 avril au 30 novembre 2008 au Muséum national d’histoire naturelle sera démontée. Ceux qui ne seront pas allés au Jardin des Plantes (Paris) pour voir cette réalisation du Brgm (Bureau de recherches géologiques et minières) ne pourront plus vérifier ce qui suit, ni admirer les « créations rendues possibles grâce au mécénat de Total qui emploie plus de deux mille géoscientifiques dans le monde ». Mécénat à combien de zéros ? Le montant ne figure pas dans la plaquette distribuée largement pendant ces sept mois, et citée ici pour compléter mon témoignage visuel.
L’allée Buffon, une de ces grandes allées du jardin, venteuses et bordées de platanes, était lyriquement rebaptisée Allée du temps : « Un chemin à parcourir pour découvrir les grandes étapes liant l’histoire de la Terre à celle de la Vie. Un mètre pour 10 millions d’années, pour présenter les 4 500 millions d’années que compte l’histoire de la Terre depuis sa formation ! » Chaque étape de cette histoire était marquée par une borne explicative. Les plus anciennes étaient chiffrées en centaines de millions d’années (Ma) et, à partir de - 1 000 Ma, la précision absolue semblait s’améliorer de 10 Ma jusqu’à 5 pour la « Terre moderne » (65 Ma) et 1 pour l’apparition d’Homo, chiffrée à - 3 Ma. Pour cette dernière date, on pouvait pourtant lire dans la rubrique « Le saviez-vous ? » de la plaquette : « Impossible de donner une date précise pour l’apparition de l’Homme ! […] Un crâne trouvé au Kenya, au bord du lac Turkana, semble être le plus ancien reste humain trouvé à ce jour (moins de 2,5 millions d’années). » À ce couac près, les arrondis semblaient refléter l’imprécision des connaissances.
Que penser alors de la première borne, celle qui marquait la formation de la terre, datée « 4 569 Ma » ? J’imagine les élèves, en visite avec leur professeur, notant le chiffre sur un carnet pour leur contrôle. Poitiers ? 732. Homo ? 3 millions. Marignan ? 1515. Formation de la terre ? 4 569. D’ailleurs, les milliers d’années étaient typographiquement écrits sans espace, contrairement à ce qui est fait ici, apparaissant ainsi comme des dates : « 1000 Ma », comme l’an mil. Et puis les arbres, ces vieux platanes portant chacun leur dossard en Ma, n’ont pas forcément le bon goût d’avoir été plantés à espace régulier et mesurable en nombre rond de Ma. Le problème semble avoir été résolu en arrondissant la mesure selon l’échelle (dix centimètres pour un Ma) au multiple de 5 Ma le plus proche. L’espacement des arbres ne serait donc mesurable qu’à 50 cm près ! À la décharge du géoscientifique de service ce jour-là (payé des clous par Total ?), ce n’est pas commode de tenir compte du diamètre variable des troncs et de leur inclinaison, certains menaçant de temps à autre de s’abattre… Pour la pédagogie de l’erreur, voir ailleurs… Par exemple, sur la borne 1 000, un nombre hyper rond qui a évidemment attiré ma curiosité. Cette borne était bien la seule à comporter un début d’information sur la précision de la datation : entre 1 300 et 900 Ma, période encadrant la date d’apparition des organismes multicellulaires dits aussi « les spécialistes ». N’était l’attrait du 1 000 Ma, la borne aurait pu être reculée de dix mètres au centre de cet intervalle ( 1 100 Ma), sauf à se retrouver au milieu d’un passage croisant l’Allée du temps.
Venant de la Seine, franchissant quelques Ma à chaque pas – j’imagine l’angoisse des joggers qui ont parcouru des milliards de milliards d’années en quelques mois –, vous pouviez voir de mieux en mieux, en descendant le temps, une grande carte de France en couleurs, suspendue devant la façade de la Grande galerie du musée. Selon l’acuité visuelle, son titre : La carte géologique de la France, était lisible à 4 400, à 1 500, à 65 ou encore plus tard. En arrivant à 3 Ma, la légende, elle aussi, devenait généralement lisible. Sinon, un panneau la reproduisait devant vous, avec quelques explications. Vous appreniez alors que c’était la carte au 1/1 000 000, la carte au million, dont l’histoire était brièvement retracée. La carte au million ? Accrochée à la façade du bâtiment ? Oui, mais c’était noté en petit sur le panneau : « Agrandie vingt fois » ! La légende reproduite sur la bâche verticale ne mentait pas : « Agrandissement de la carte au 1/1 000 000 ». Et Cuvier la contemplait sans broncher… Face à cette « création rendue possible » grâce au mécénat, figurait au sol l’assemblage des 1 060 cartes au 1/50 000, superbe il faut le dire, mais il n’était pas indiqué clairement s’il était agrandi. Pas de beaucoup sans doute, puisque la carte en façade semblait approximativement se projeter au sol (ndlr : si l’échelle de la carte est multipliée par 20, sa surface est multipliée par 400 quand même…). En effet, par temps sec, on pouvait même marcher sur cette seconde « carte », mais sans savoir combien de kilomètres on parcourait à chaque pas. Ah ! la relativité…
Randonneurs, méfiez vous ! On annonce une version rétrécie de la carte dite « d’état-major », plus logeable dans la poche d’un petit sac-à-dos, mais toujours au 1/25 000. Pour les automobilistes qui consomment deux fois trop de carburants fossiles, on pense bientôt trouver, avec la réduction de moitié de la carte Michelin au 1/200 000, un moyen simple pour sauver la planète Terre. « L’énergie est notre avenir, économisons la ! » dit la publicité de Total, discrètement présente. Tous les moyens sont bons.
Bruno Aubusson de Cavarlay
Ndlr : L’année 2008 est bien terminée au moment du bouclage de cette lettre. Mais pas cette « année » internationale. « Née d’une initiative conjointe de l’Unesco et de l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS), l’Année internationale de la Planète Terre se déroulera de janvier 2007 jusqu’à décembre 2009. L’année centrale de cette période de trois ans, 2008, ayant été proclamée Année des Nations unies par l’assemblée générale de l’Onu. » (site Spectroscience).