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Déprimant Que choisir ?

Dans son numéro de février 2000, le mensuel Que Choisir ? fait état d’un essai comparatif sur le traitement de la dépression, essai dont les résultats ont été publiés dans le British Medical Journal (janvier 2000).

L’essai a été mené de la manière suivante (semble-t-il assez rigoureuse). Des patients dûment diagnostiqués "dépressifs" ont été répartis en quatre groupes :

  • les premiers ont été traités par des médecins généralistes (selon une psychothérapie de soutien sur laquelle nous reviendrons) ;
  • les seconds ont bénéficié du même traitement, mais administré par des infirmiers formés au même type de psychothérapie ;
  • ceux du troisième groupe ont reçu un antidépresseur (sans psychothérapie) ;
  • ceux du dernier groupe ont bénéficié de l’association antidépresseur + psychothérapie (on n’indique d’ailleurs pas si cette psychothérapie a été "administrée" par des médecins ou des infirmiers).

 
Choisir quoi ?

Que Choisir rapporte que "les chercheurs n’ont constaté aucune différence significative entre les groupes."

Or, si les tests statistiques permettent de valider des hypothèses (et encore, avec une probabilité d’erreur qui se calcule), ils ne peuvent en aucun cas les invalider formellement. Je m’explique. Si les tests avaient mis en évidence une différence significative entre les groupes, il aurait été possible de conclure que telle méthode semblait supérieure aux autres (pour le traitement de la dépression considérée et dans les conditions d’expérimentation décrites) et ce, avec un risque d’erreur de x% assumé par l’expérimentateur.

En revanche, le fait de ne pas mettre en évidence de différence significative entre les groupes ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas de différence entre les quatre méthodes de traitement. En effet, le test peut alors manquer de puissance (par exemple parce qu’il s’appuie sur trop peu d’observations).

Mais Que Choisir, manifestement ravi de trouver un essai thérapeutique qui aille dans le courant habituel de ses préoccupations, affirme le contraire : bien en vue sur la photo qui accompagne l’article, on peut lire la déclaration suivante : "Selon une étude britannique, un antidépresseur n’est pas plus efficace qu’un traitement psychothérapeutique. "Et, malheureusement, ce n’est pas un simple abus de titre : c’est aussi ce qu’ont conclu les auteurs de l’article1.

Autre mauvais point, le fait d’affirmer "qu’un antidépresseur n’est pas plus efficace qu’une psychothérapie" laisse penser qu’on parle de toute la classe des antidépresseurs. Or, l’expérimentation ne s’est faite qu’avec deux produits (qui ne sont d’ailleurs pas considérés comme une référence dans la catégorie) : ce n’est pas suffisant pour généraliser.

De la même manière, les auteurs de l’article original ne prétendent pas du tout que les résultats de leurs travaux, fondés sur une thérapeutique particulière2, sont généralisables à l’ensemble des psychothérapies. Mais Que Choisir le laisse entendre.

Ce qui me gêne en fait, c’est que Que Choisir semble ne rapporter que les résultats des études qui vont dans le sens de ses préoccupations, ceci ressort de l’examen du sommaire des parutions de ces 3 dernières années. Or, des études qui donnent des résultats différents voire opposés à ceux qui figurent dans l’article ici cité, il en paraît très régulièrement dans la presse médicale internationale. S’il n’en fait jamais mention, comment ce périodique prétend-il informer ses lecteurs et leur permettre de se former une opinion ?

 
Choisir pourquoi ?

Les médicaments sont-ils mieux, ou moins bien, etc.? Je n’ai aucune position en la matière. Ou plutôt, il me semble que le problème fait intervenir trop de paramètres pour être abordé aussi sommairement. L’expérimentation britannique apporte d’ailleurs sa contribution à la question, ne serait-ce qu’en remettant en cause certains préjugés. Dommage que les auteurs en tirent des conclusions aussi péremptoires.

L’intention - louable - est probablement de lutter contre la surconsommation médicamenteuse. Mais ici, on crée un risque. Voici pourquoi. Il existe différents types de dépressions dont certaines sont beaucoup plus graves que la dépression dont traitent nos amis d’outre-Manche. Ces cas graves, la plupart du temps, nécessitent des chimiothérapies lourdes. Or, d’autre part, l’un des problèmes essentiels dans le traitement des malades atteints de ces types de dépression est d’obtenir leur adhésion au traitement : c’est essentiel à la rémission ou guérison. Si un tel patient (ou son conjoint, son entourage…) tombe sur cet article, on peut craindre qu’il ne soit pas très chaud pour prendre ses gélules.

Mais ce qui reste tout de même amusant, c’est que Que Choisir, sans doute soucieux de ne pas aller contre les préjugés de certains lecteurs, se garde bien de rapporter l’autre conclusion sur laquelle débouchent les travaux britanniques : c’est que si l’on est déprimé, il est aussi efficace de se faire soigner par un infirmier (pourvu qu’il soit formé à la "thérapie de résolution des problèmes") que par un médecin lui aussi formé à cette technique. 

Denis Degan
 

 

1 On trouvera l’article sur internet à l’adresse suivante :
http://www.bmj.com/cgi/content/full/320/7226/26

2 Problem solving therapy, au demeurant peu connue en France ou en tout cas peu référencée dans la presse spécialisée française.

 
Pénombre, Juin 2000