Un article des Echos (25 février 2000) relatif à l’évolution des prix démarre en se demandant si "le verre de l’inflation est aux trois-quarts plein ou aux trois-quarts vide." Que l’inflation soit une forme d’ivresse est sans doute une vue intéressante. On a néanmoins ici une version améliorée du dilemme du verre à moitié plein ou à moitié vide. Marius s’étonnait qu’un verre pût contenir quatre tiers ; celui-ci contient-il alors six quarts ?
Dans un tel récipient extensible, le lecteur ne s’étonnera donc pas de la suite de l’article : "si les prix à la consommation sont restés stables en janvier, l’inflation atteint désormais 1,6% contre 1,3% un mois plus tôt." Comprenons : l’inflation était de 1,3 ; les prix sont désormais stables ; elle passe donc à 1,6… On connaissait déjà la formule "qui n’avance pas recule" ; voici maintenant "qui n’avance pas progresse". On n’arrête décidément pas le progrès.
La clé de ce miracle n’est pas bien compliquée. 1,3 mesurait la hausse de décembre 1998 à décembre 1999 ; 1,6 mesure celle de janvier 1999 à janvier 2000. Si, entre décembre 1998 et janvier 1999 les prix, au lieu de monter, avaient reculé de 0,3%, on a pu avoir 1,6 entre janvier et décembre 1999. Et 1,3 est bien le cumul de (-0,3) + 1,6. Tandis que, de janvier à janvier, on a 1,6 + 0,0 = 1,6.
Autrement dit, l’apparente accélération entre décembre et janvier cette année n’est que l’effet d’un changement de rythme il y a un an. Du reste, un mois plus tard, les prix avaient progressé de 0,1% et l’évolution annuelle était ramenée à 1,4%. Autrement dit encore, ce qu’on nous raconte est trompeur. Juger du rythme récent de la hausse des prix en se servant d’une variation sur un an est tout à fait inapproprié. On aurait apprécié que l’article s’en abstienne. A moins qu’il ne choisisse au contraire de démonter le paradoxe, comme on vient de le faire ici. Pour une fois, le titre de l’article est plus clairvoyant que le texte qui suit : "accélération en trompe-l’œil du rythme de l’inflation".
Jean-Pierre Haug
Pénombre, Juin 2000