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Du nombre des noms

EN FRANCE, une nouvelle loi va permettre aux parents de choisir le nom de famille de leurs enfants (à partir de janvier 2005), ceci dans un esprit d’égalité des sexes(1). Certains font valoir que cette disposition aurait aussi pour avantage, en ajoutant des matronymes aux patronymes, d’éviter la perte des noms de familles rares et donc la diminution du stock de ces noms. Mais les statisticiens au fait de cette question disent que cet appauvrissement anthroponymique n’est pas à craindre, grâce à l’immigration, qui amène de nouveaux noms. Ainsi, depuis 1900, 350 000 noms auraient disparu, et 800 000 nouveaux seraient apparus grâce à ce phénomène(2).

Mais, peut-on additionner les « parentonymes » comme on additionne les productions pour le calcul du PIB ? Un nom de famille c’est quelque chose d’unique, qui fait partie de notre patrimoine, comme les œuvres d’art. Si un tableau de Picasso brûlait, il ne serait pas remplacé par celui d’un peintre actuel, aussi, voire plus talentueux. À supposer que le patronyme Fèvre disparaisse (le risque est faible) il ne serait pas remplacé par Smith, bien que celui-ci ait la même signification.

D’autre part, disparitions et apparitions se situent-elles sur le même plan ? Les noms qui disparaissent, ne disparaissent pas seulement de France (sauf exception), mais de la Terre. Les noms qui apparaissent, n’apparaissent qu’en France et non sur la Terre. Ce ne sont pas des créations, mais des importations. Autrement dit, ces noms viennent augmenter le stock de la France, mais pas celui de l’humanité. Le nom de l’auteur de ces lignes est issu de l’immigration et n’existait pas en France avant que son grand-père paternel n’y arrive. Mais ce nom existait dans un autre pays. Par contre, à la même époque, le patronyme Traitalhuile a disparu, non seulement de France, mais de la Terre(3).

La réponse à cette question de la variation du nombre de noms de famille n’est donc pas la même selon que l’on adopte un point de vue franchouillard ou mondialiste.

Alfred Dittgen
 

(1) Je signale aux honorables parlementaires soucieux de l’égalité des sexes qui liraient ce papier que la loi actuelle peut aussi être en défaveur des hommes. En effet, le Code civil n’autorise le mariage des hommes qu’à partir de 18 ans, alors que les femmes peuvent convoler dès 15 ans.
(2) Chiffres cités par l’hebdomadaire La Vie, n°2989 du 12 au 18 décembre 2002.
(3) Voir : Myriam Provence, « Mort d’un patronyme », in J. Dupâquier et D. Kessler, 1992, La société française au XIXe siècle, Fayard.

 
Pénombre, Juillet 2003