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Brice Hortefeux a prononcé un important discours lors de ses adieux à ses fonctions de ministre de l’Immigration, de l’Intégration et du Développement solidaire. Discours tellement important qu’il est passé à la trappe du site Web du ministère dès l’arrivée du successeur, Éric Besson. Il est vrai que le discours était parti en bonne compagnie puisque toute la communication de M. Hortefeux avait disparu et que la page Actualités du site se présentait sous la forme d’une magnifique et très orwellienne page blanche.

Monsieur Hortefeux a commencé par proclamer la victoire du Gouvernement dans « la bataille des idées ». Il a également indiqué que le Gouvernement a « appliqué la loi de la République avec discernement en reconduisant les étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine, sauf situation humaine particulière ». Le ministre a également présenté ses remarquables résultats en les illustrant notamment d’indicateurs quantitatifs. Examinons un peu certains des choix.

29 796, le nombre d’éloignements en 2008, très travaillé, évite de justesse un nombre rond. Il dépasse largement l’objectif de 26 000 fixé par le président de la République. Sa forte progression est soutenue par le triplement des retours volontaires qui fournissent dorénavant le tiers des éloignements.

On notera que les dates des différents indicateurs cités fluctuent un peu :

  • - la « spectaculaire » baisse du nombre de cartes de séjour au titre de l’immigration familiale porte sur l’année 2007 (par rapport à 2006, donc…) ;
  • - la baisse de l’aide médicale d’État (AME) est considérée entre juin 2007 et juin 2008.

On poursuivra en remarquant que les données fournies par le ministre n’étaient disponibles nulle part : le dernier tableau mis en ligne par l’Ined sur les admissions en France datait de 2005, le dernier chiffre en ligne pour l’AME sur la BDSL (base de données sociales localisées) de la DGAS (direction générale des Affaires sociales) concernait l’année 1999. Il s’agit d’ailleurs des données de l’aide médicale gratuite qui a précédé l’AME, et qui était gérée par les départements.

Revenons un peu sur cette AME. Depuis le 1er janvier 2000, elle est du ressort de l’État et vise à faire bénéficier des étrangers en situation irrégulière d’une couverture santé. L’État en a délégué la gestion à la CNAMTS. Depuis cette date, les données sur le nombre de bénéficiaires semblent ne plus être disponibles sur la toile : ni la CNAMTS (ameli.fr), ni la Drees (ministère de la Santé), ni, on vient de le voir, la BDSL ne fournissent de chiffres. Les seuls que j’ai pu trouver proviennent du rapport d’audit réalisé par l’inspection des Finances et l’inspection des Affaires sociales, et publié en 2007. Ils s’arrêtent en septembre 2006. Dans son annexe IV, il est dit que le nombre de bénéficiaires de l’AME est parfois utilisé pour estimer le nombre d’étrangers en situation irrégulière. Ce nombre n’est que « très partiellement quantifiable ». L’utilisation du nombre d’AME est très insatisfaisante car entachée de variations liées à des phénomènes de gestion (taux de renouvellement, par exemple). Les valeurs fournies ne sauraient être considérées que comme une estimation plancher, et leur évolution est à commenter avec précaution. Parmi les utilisations qui en ont été faites, le rapport cite les déclarations du ministre de l’Intérieur en novembre 2005.

Ce que le maître a fait, quoiqu’inadapté, est fidèlement reproduit par l’élève puisque Monsieur Hortefeux reprend ces mêmes chiffres de l’AME pour conforter sa conviction que « pour la première fois depuis une génération, l’immigration clandestine a commencé à décroître en France ». On aimerait juste connaître les dernières valeurs disponibles à fin 2008…

François Sermier

Ndlr : ce texte date de février 2009. Depuis, le rapport de 2008 du Comité interministériel de contrôle de l’immigration a été rendu public, apportant une réponse à la question posée. Il contient en effet une série trimestrielle pour les AME allant de décembre 2000 à décembre 2007 (p. 96) et prolongeant celle que contenait le rapport précédent diffusé en décembre 2007. Le rapport évoque aussi le chiffre de juin 2008 qui permet, comme l’a fait le ministre dans son discours, de faire état d’une baisse de juin 2007 à juin 2008. Mais curieusement, ce rapport ne donne pas le chiffre de mars 2008 alors que la série montre depuis 2006 des baisses plus ou moins fortes selon le trimestre de référence. La source indiquée est « CNAMTS » sans autre précision. Il est fait état des ses possibles biais pour, finalement, maintenir l’idée que la baisse observée de juin 2007 à juin 2008 montre, avec les autres données mobilisées, que « le nombre de personnes en situation irrégulière en France a connu une légère diminution » (p. 97). Or les autres données résultent toutes de l’activité des organes administratifs et policiers de contrôle de l’immigration et sont donc conditionnées par les orientations politiques du moment, l’objectif fixé pour le nombre d’expulsions étant l’exemple le plus médiatisé. La mesure du nombre d’immigrés présents clandestinement en France continue d’être un domaine où les arguments scientifiques sont de faible poids face aux discours partisans (voir « Les chiffres choisis de l’immigration », Plein Droit, n° 77, http://www.gisti.org/spip.php?article1165, juin 2008, numéro auquel Pénombre a apporté sa contribution). On peut s’inquiéter alors de voir qu’un dispositif à visée sanitaire et humanitaire (l’AME) bascule dans le même registre.