--

Hépatite, un rappel

Le texte suivant prolonge la réflexion sur le risque (v. nos 19 et 21) de la vaccination de l’hépatite B.
 

LA vaccination contre l’hépatite B est largement pratiquée en France depuis 1994 : près de la moitié de la population est vaccinée. Mais un doute a progressivement germé : ce vaccin ne favoriserait-il pas l’apparition d’une famille de maladies graves (dites "atteintes démyélinisantes centrales") dont la sclérose en plaques ? De très lourdes études ont été menées en 1997-1998 sur la question, sans induire de conclusion certaine, ni dans un sens (l’éventuelle dangerosité du vaccin), ni dans l’autre (l’éventuelle preuve de son innocuité). Pénombre, soucieuse d’éclairer, fût-ce d’une étrange lumière, son lecteur, s’était efforcée de lui fournir l’état de la connaissance, sachant que ledit lecteur a eu, a, ou aura peut-être à prendre la décision de vaccination (ou de non-vaccination) pour lui et/ou le cas échéant, pour ses enfants. En effet, cette vaccination, bien que recommandée, n’est obligatoire que pour les professionnels particulièrement exposés au risque.

Après un curieux exercice de statistique appliquée, l’article se concluait sur une question : "muni de ces informations, faites-vous vacciner votre enfant de 12 ans1 ?". Pénombre promettait une suite, la voici.

 
Qu’a décidé le ministre ?

Notre article précédent vous laissait dans l’incertitude sur les conclusions des pouvoirs publics, pour vous permettre de mener votre réflexion personnelle à partir des faits, hors l’influence d’une "pensée officielle". Peut-être l’avez-vous lu dans les journaux de l’époque, peut-être êtes-vous allés le voir sur le site du ministère de la Santé (www.sante.gouv.fr), Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la Santé, décidait au vu des données de l’époque, le 1er octobre 1998 :

– de continuer la politique de vaccination des populations à risque (obligatoire pour certaines professions ; recommandée en cas d’exposition particulière (mode de vie, voyage dans les zones à risque…).

– de suspendre les campagnes de vaccination systématique au collège, et de confier le soin de la vaccination des pré-adolescents au médecin de famille dans le cadre d’un dialogue personnalisé comportant un examen des antécédents personnels et familiaux.

Par ailleurs, il décidait de renforcer le système d’observation et de surveillance.

La suspension des campagnes systématiques au collège suscita quelque controverse. Pourtant, la décision était rationnelle : la campagne s’adressant aux 11-12 ans, et les premiers risques significatifs d’exposition au virus de l’hépatite B n’apparaissant que vers 15 ou 16 ans, on pouvait se donner un ou deux ans pour tenter d’approfondir le sujet. Il serait toujours temps de rattraper vers 14 ou 15 ans la ou les générations non-vaccinées à 11 ou 12 ans…

Vous vous retrouvez donc avec votre enfant de 12 ans chez votre médecin de famille, qui ne détecte aucun antécédent, ni aucune contre-indication particulière… que décidez-vous ?

 
Moi, par exemple

L’auteur de ces lignes, de formation plutôt mathématique, croit à la statistique. Il a fait vacciner ses enfants à l’adolescence. Il s’était borné en effet à constater que, sous la seule hypothèse que le comportement probable de ses enfants à l’adolescence pouvait être figuré par le comportement moyen des jeunes français, le calcul de probabilité selon les données de l’époque était favorable dans tous les cas à la vaccination.

Il s’est tout de même posé pour la forme la question du comportement probable de ses enfants. S’il avait pu se persuader que l’éducation exemplaire que son épouse, l’école républicaine et lui-même leur ont donnée les prévenait assurément des conduites à risque de la jeunesse (liés par exemple aux pratiques sexuelles multipartenariales, à l’usage de drogue, au tatouage ou autres piercing), il aurait conclu de ses calculs que la vaccination n’était peut-être pas avantageuse. En tout cas, il n’est pas allé aussi loin dans la confiance en soi (ou dans la prétention).

 
Des experts, autre exemple

À l’agence du médicament (aujourd’hui AFSSAPS), qui a la responsabilité scientifique et technique de l’évaluation des risques du vaccin, les données ont été présentées en octobre 1998 au cours d’une conférence donnée par l’unité de pharmacovigilance (Dr. A. Castot) devant une quarantaine de responsables médecins et pharmaciens pour la plupart, rompus à la réflexion sur le risque sanitaire et trempant quotidiennement dans ce genre de sujet. À l’issue de l’exposé et de la séance de questions-réponses, on a posé la question à chaque participant "faites-vous vacciner votre enfant ?". Deux tiers ont répondu oui, un tiers a répondu non…

Si même les experts sont divisés pour leurs propres enfants, alors comment nous, pauvres inexperts, comment pourrons-nous prendre une décision pour nos enfants ?

 
Depuis 1998

Dans notre perplexité, peut-être aurons-nous la chance d’en savoir plus qu’il y a deux ans, puisque les études ont continué ?

Il est d’autant plus temps de refaire le point à la lumière des derniers acquis de la science, car deux ans après la décision de suspension des campagnes en milieu scolaire, il faut savoir ce qu’on fait : les enfants qui avaient 12 ans en 1998 vont arriver à l’âge des risques d’hépatite B… S’il faut rattraper leur vaccination, il ne faut pas tarder. Peut-être avez-vous vous-même sursis à la vaccination de votre enfant en attendant la suite que Pénombre vous promettait ?

Le 21 février 2000, l’AFSSAPS convoque donc une réunion des meilleurs experts mondiaux pour actualiser les connaissances. Quoi de neuf à signaler sur les sujets déjà creusés en 1998 ? Les nouveaux cas d’atteintes démyélinisantes signalés au réseau de pharmacovigilance2 permettent de réajuster les chiffres.

Dans les comptes de A. Fourrier (université de Bordeaux), le nombre de cas observés "d’atteintes démyélinisantes centrales" sur une période de 2 ans (111 cas) dépasse maintenant de peu le nombre de cas attendus calculé en appliquant à la population le taux de prévalence moyen de ces pathologies dans la population française (103). Une si petite différence est toutefois trop faible pour prouver statistiquement quelque chose.

Mais il faut se souvenir que même dans un contexte de forte médiatisation, ce n’est jamais la totalité des cas qui est signalée3. Peut-on se faire une idée de l’impact de cette sous-notification ? D. Costagliola (INSERM et AFSSAPS) a pu, depuis 1998 affiner les résultats qu’elle avançait en 1998 grâce à la méthode capture-recapture, qui s’est nourrie et perfectionnée depuis 1998. En recoupant les cas signalés à l’un ou l’autre des trois réseaux suivants, à deux d’entre eux ou aux trois, (réseau de pharmacovigilance, laboratoires producteurs de vaccins, association REHVAB, qui s’est constituée avec les malades concernés pour mettre en évidence le phénomène), on peut estimer le taux de notification obtenu par chacun des réseaux.

Passons sur le détail des calculs, on trouve, selon les approches, un taux de sous-notification au réseau de pharmacovigilance entre 1,8 et 2,3. Il est très rare que près d’un incident sur deux fasse ainsi l’objet d’un signalement, c’est sans doute l’effet de la médiatisation.

Ce taux de sous-notification appliqué au résultat précédent nous amènerait à conclure qu’il y aurait entre 2 et 2,5 fois plus de survenue de pathologies démyélinisantes dans la population récemment vaccinée que dans la population moyenne. Va-t-on pouvoir enfin conclure ?… Ce serait trop facile. En effet, les calculs de l’étude capture recapture se fondent sur l’hypothèse d’indépendance statistique des notifications à un réseau ou à un autre4.

Et donc en fait, le résultat évoqué ci-dessus peut avoir deux interprétations différentes :

– soit on considère que le vaccin contre l’hépatite B multiplie par 2 ou 2,5 le risque d’atteinte démyélinisante dans l’année qui suit la vaccination ;

– soit on considère qu’un médecin moyen qui a déclaré un incident à un réseau s’estime dès lors quitte de ses devoirs, et prend rarement la peine de le déclarer à un second réseau (pensant par exemple que les divers réseaux se sont organisés pour échanger leurs informations5). Cela conduirait, si vous me suivez, à une réduction du nombre des cas connus de plusieurs réseaux, et par là à une surestimation du taux de sous-notification et in fine, à une surestimation de l’incidence de l’affection chez les vaccinés. Il suffirait d’admettre que le fait d’être déclaré à un réseau divise par deux la probabilité d’être déclaré à l’autre pour conclure que la vaccination n’augmente pas le risque…

En l’absence de toute donnée sérieuse sur le sujet, chacun peut en penser ce qu’il veut.

 
Une certaine réunion

Lors de la réunion du 21 février 2000, les résultats des études déjà évoquées en 1998 ont été rappelés, qui donnaient les estimations suivantes de l’odds ratio (rapport entre le risque statistiquement encouru par les personnes vaccinées et le risque encouru par les autres).

 A. Alpérovitch 1997 :
 OR = 1,7 IC à 95%= [0,8 ; 3,7]
 Étude multicentrique 1998 :
 OR = 1,8 IC à 95%= [0,7 ; 4,6]
 L. Abenaïm 1998 :
 OR = 1,6 IC à 95%= [0,6 ; 3,9]

Le problème reste ce fameux "IC à 95%", l’intervalle où l’odds ratio a 95% de chances de se trouver. En l’occurrence, quelle que soit l’étude, le chiffre 1 est à chaque fois inclus dans l’intervalle6, ce qui signifie qu’on ne peut pas conclure avec moins d’une chance sur vingt de se tromper à un risque particulier. En gros, le surcroît de cas d’ADC constaté dans la population vaccinée ne dépasse dans aucune de ces trois études ce que peut produire le pur hasard. Encore non conclusif !

Au cours de la même réunion, les experts ont passé en revue toutes les études faites sur le sujet et les sujets connexes aux quatre coins du monde. "L’ensemble des études présentées ne permettent pas de conclure à l’existence d’un risque, ni de l’exclure […], cependant l’ensemble des résultats convergent pour indiquer que si un risque existe, il est nécessairement faible." (conclusions des travaux) Tout ça pour ça !

Dominique Gillot, secrétaire d’État à la santé, en a conclu, le 6 mars 2000, qu’il n’y avait pas lieu de modifier les décisions prises en octobre 1998 par son prédécesseur, et en particulier qu’on ne reprendrait pas les campagnes systématiques de vaccination en milieu scolaire.

Quant à l’auteur de ces lignes, il ne regrette toujours pas d’avoir fait vacciner ses enfants, la comparaison du risque d’hépatite B et du risque d’ADC post-vaccinale restant dans toutes les hypothèses en faveur de la vaccination (v. Pénombre n°21).

Il a d’ailleurs calculé sur un coin de table quelques points de comparaison qui lui permettent de relativiser son angoisse.

Le risque maximum engendré par la vaccination de ses enfants a consisté au maximum à passer 12 mois avec un risque de contracter une ADC double de celui de leurs voisins non vaccinés. Cela reste heureusement un risque faible…

Le risque maximum encouru ne dépasse en aucun cas celui qu’on prend en préférant la voiture au train pour un aller-retour Paris-Marseille7.

Et il est du même ordre de grandeur que celui qu’on prend en fumant un paquet de 20 cigarettes8.

A-t-il raison de raisonner ainsi ?

 
Jean-René Brunetière

1 Rappelons que la meilleure manière d’éviter de se poser des questions est de faire vacciner son enfant peu après la naissance : sur 1,8 millions de nourrissons vaccinés, aucune atteinte grave n’a été observée.

2 La médiatisation du sujet a certainement contribué à faire affluer de nouveaux signalements, même de cas anciens.

3 Rappelons que les " cas observés " proviennent des déclarations des médecins de toute la France qui constatent des effets indésirables potentiellement liés à des vaccins. Ces déclarations sont obligatoires, mais il y a inévitablement beaucoup de perte en ligne…

4 Dans l’exemple du comptage des poissons dans l’étang, évoqué dans le premier article, la méthode ne marche que si les poissons pris lors de la première pêche n’ont pas été rendus méfiants par leur mésaventure et gardent bien le même taux de capture lors de la seconde pêche. S’ils sont devenus réticents, le calcul capture recapture surestimera le nombre total de poissons.

5 Ce qui est d’ailleurs exact.

6 Un odds ratio égal à 1 signifie qu’il n’y a ni plus ni moins de risque chez les vaccinés que chez les autres.

7 Sur la base de 1 mort pour 100 millions de km.

8 Sur la base de 60 000 morts pour 10 Md cigarettes fumées chaque année en France.

 
 
Pénombre, Novembre 2000