Affirmer que le remplacement des générations n’est plus assuré si l’indice conjoncturel de fécondité est inférieur à 2,1, est une contradiction dans les termes car c’est juger un indice du moment selon une norme de génération. Pour que cela soit légitime, il faudrait que les calendriers par âge du moment restent identiques durant les 35 années à venir. Une telle situation immobile n’a jamais été observée. Quelle est alors la relation entre l’indice du moment et les descendances finales des générations qui passent par le moment ? Tout dépend des avances et des retards du calendrier. Depuis un travail célèbre de N. Ryder, on sait en effet que les indices du moment sont extrêmement sensibles aux changements des âges moyens à la fécondité. Très simplement, si le calendrier de fécondité de toutes les générations se déplace au rythme de a fraction d’année par an, sans changement de la descendance finale, les événements qui auraient dû se produire sur une année s’étaleront sur 1 + a année, et l’indice conjoncturel calculé à partir des événements de l’année ne vaudra que 1/(1+a) descendance finale. Le vieillissement de l’âge moyen à la maternité en France depuis 25 ans a donc mécaniquement pour conséquence une baisse de l’indice conjoncturel, même si la descendance finale des générations concernées ne change pas. Signalons à Mr Dittgen qui ne semble pas avoir compris ce point, que cet état de chose durera autant que l’âge des mères continuera à vieillir. On peut vivre toute sa vie féconde sous des indices conjoncturels de 1,8 : il suffit que le calendrier de la fécondité prenne 2 mois de retard chaque année, soit au total 6 années pour toute vie féconde de cette génération.
Même en supposant que les calendriers ne changent pas, l’indice conjoncturel ne donne pas une bonne indication du remplacement de la population car il ne prend pas en compte les migrations externes. Qu’est-ce que le remplacement d’abord ? le rapprochement entre le nombre de naissances provenant d’une génération de mères nées par exemple une année donnée en France et l’effectif de la génération de ces mères à leur naissance en France. Or, du fait des migrations, certaines naissances proviennent de mères de la génération requise, mais nées hors de France : le remplacement d’une génération, n’est donc pas déterminé seulement par sa fécondité. Prenons un cas extrême où la descendance finale serait de 1,05 enfants pour les générations nées en France et à l’étranger, et supposons que pour toute naissance provenant d’une mère du même âge mais venue de l’étranger où elle est elle-même née, le remplacement sera alors assuré, car 1,05 x 2 = 2,1 naissances remplaceront une naissance féminine en France dans la génération considérée née en France.
En oubliant à la fois les changements de calendrier et les migrations, MM. Dittgen et Lévy croient vivre dans une société « de souche » et sans changement de mœurs. Qu’ils continuent dans leurs rêves ! Mais, de grâce que Lévy ne m’invective pas ! (« Le Bras quand il est honnête », écrit -il).
Hervé Le Bras, démographe EHESS
Pénombre, Juin 1998