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L’espérer et l’espérance (mathématique)

ON RENCONTRE SOUVENT la formule suivante : « une femme française peut espérer vivre 84,1 années ».

La formule « peut espérer » est très ambiguë. Elle semble vouloir dire que 84 années et 36 jours seraient l’âge qu’une femme française aurait l’espoir d’atteindre, au mieux. On imagine l’angoisse d’une femme qui lirait cette information le jour de son quatre-vingt-quatrième anniversaire et la prendrait au pied de la lettre. Plus que 36 jours à vivre ? Au maximum ? Car, si l’on « peut espérer », on doit donc aussi craindre de ne pas atteindre cet âge présenté implicitement comme fatidique !

Cette formulation traduit de manière malencontreuse la notion « d’espérance de vie »... à moins que cette notion ne soit elle-même dénommée de manière malencontreuse ! Qu’est-ce, en effet, que l’espérance de vie d’une femme – ou plutôt d’une fille – qui naît aujourd’hui en France (pas forcément une Française, ou pas immédiatement, soit dit en passant) ? C’est l’âge moyen auquel mourront les filles qui naissent aujourd’hui en France si elles rencontrent, à tout âge, les risques de décès que l’on observe aujourd’hui. Ces risques sont connus grâce aux « tables de mortalité » qui mentionnent, à tout âge et pour chaque sexe, la probabilité de mourir dans l’année. Bien entendu, certaines des filles nées en 2011 mourront avant 2095, d’autres plus tard. Mais, en moyenne, elles vivront donc 84,1 ans... si les conditions de la mortalité que l’on observe aujourd’hui sont confirmées dans les décennies qui viennent. Il s’agit donc d’une prévision assise sur des observations passées et qui pourraient être démenties dans l’avenir, en mieux ou en moins bien.

Évidemment, une femme qui a atteint 60 ans et qui, par définition, a une probabilité nulle d’être décédée avant cet âge - a une espérance de vie supérieure à 24,1 ans : elle serait désormais de 27 ans (source Insee). Quant à l’espoir que peut nourrir une fille qui naît en 2011, ce qu’elle « peut espérer » vivre, c’est actuellement 122 ans, âge limite de la vie humaine observée à ce jour avec Jeanne Calment. Éventuellement plus si les conditions de vie et les découvertes scientifiques le permettent...

Il ne faut donc pas confondre l’espoir, ainsi défini, et l’espérance (mathématique). Et ne pas confondre non plus - mais c’est une autre affaire – l’espérance, vertu théologale, et l’espérance mathématique dont il est question ici.

Alain Gély