Les instituts de sondage ont certes reconnu quelques écarts entre leurs prévisions et les résultats obtenus par les candidats au premier tour des primaires socialistes. Mais ils se sont néanmoins félicités d’avoir si bien fait dans cette situation difficile (voir la vidéo du 10/10/2011 de Brice Teinturier sur le site Ipsos). Pourquoi difficile ? À cause d’une inconnue majeure : combien de votants ? Les prévisions les plus hétérogènes circulaient : le PS tablait sur un million de votants, Montebourg sur 4 millions, pour le directeur général d’Ipsos-France « il y aura sûrement plus d’un million de votants, mais plus de deux ce serait énorme », pour celui de BVA « le potentiel est de plusieurs millions de votants, un chiffre qui explose les prévisions du PS ; on pourrait arriver à plus ou moins quatre millions de votants ».
Comment savoir combien de sondés iraient voter parmi ceux qui déclaraient qu’ils le feraient ? Point d’historique en la matière qui permette de « redresser ». Pour Brice Teinturier (Ipsos), le problème se résout par l’utilisation d’échantillons beaucoup plus larges : « lorsqu’on travaille sur un effectif initial de plus de 4 700 personnes, pour en extraire un échantillon de 574 votants potentiels, on se retrouve au final avec un groupe d’une taille comparable à celui des électeurs "sûrs d’aller voter" dans n’importe quel sondage électoral classique, portant sur des échantillons standard de 1 000 personnes ».
Regardons !
En se référant à dix sondages réalisés en septembre et octobre 2011, on peut reconstituer des pourcentages de votants plus ou moins certains et savoir s’il s’agit de personnes inscrites sur les listes électorales, sympathisantes de gauche ou sympa¬thisantes PS. On peut donc se livrer à quelques calculs. En se fondant sur 45 millions d’inscrits sur les listes électorales et d’après les indications données concernant ces sous-ensembles, on trouve en moyenne dans les échantillons 46 % de sympathisants de gauche, ce qui donnerait près de 21 millions de personnes sur les inscrits, et 26 % de sympathisants socialistes, soit 11,7 millions de personnes.
- Entre 11 et 15% de l’ensemble des électeurs potentiels se disent « certains » d’aller voter, soit 13,3 % en moyenne (des résultats des sondages). Rapportés aux 45 millions d’inscrits, on obtiendrait près de 6 millions de votants.
- Parmi les sympathisants de gauche, la fourchette des votants certains s’élargit, allant de 18 à 34 % , 26 % en moyenne , soit 5,4 millions de votants.
- Parmi les sympathisants PS, entre 27 et 40 % se déclarent certains d’aller voter, 35,7 % en moyenne, soit 4,2 millions.
Nous sommes donc largement au-dessus de la participation effectivement enregistrée à 2,7 millions. D’autant qu’il faudrait ajouter à ces prévisions une partie des personnes qui avaient déclaré qu’elles iraient « probablement » voter. En opérant les mêmes calculs que pour les « certains », on obtient sur l’ensemble des « certains » et des « probables », 11 millions de votants si l’on se réfère aux inscrits, 9,2 millions si l’on se réfère aux sympathisants de gauche ou 7 millions pour les sympathisants PS.
En fait environ 2,7 millions de personnes sont allées voter, soit environ 5,9 % du corps électoral. Sur des échantillons de 1 000 à 1 500 personnes, les instituts auraient donc attrapé dans leurs filets aléatoires moins de 100 votants. Dans ces conditions, les sondeurs ont raison d’être fiers d’eux-mêmes quant aux intentions de vote pour chaque candidat qu’ils ont publiées….
Ipsos, avec son large échantillon de 4 742 personnes, méthodologie tant vantée par Brice Teinturier pour sa « robustesse » et sa « solidité », a-t-il fait mieux que les autres ? Dans le sondage publié le 28 septembre, la prévision indiquée est de 9 % de « votants potentiels » ce qui aurait fourni plus de 4 millions de votants. Redressée par Ipsos, la mobilisation prévue était « importante et pourrait dépasser le million, voire le million et demi ». Le score prévu pour F. Hollande était de 44 % (39 % obtenus) et celui de M. Aubry de 27 % (30 % obtenu) soit un écart de 17 points au lieu des 9 réalisés. Quant à A. Montebourg, il ne figurait même pas dans les scénarios de second tour proposés (à l’inverse de S. Royal). Même pas le tiercé gagnant… Mais, peu importe, dans sa vidéo fanfaronne, Teinturier bat crânement en brèche toutes les critiques méthodologiques et utilise sa surestimation du score de Hollande pour en pulvériser une autre : on accusait les sondeurs de « pervertir » le scrutin en poussant les votes pour Hollande, placé en tête des sondages, et le fait qu’il ait obtenu moins que prévu par Ipsos montre bien qu’il n’en est rien. Cet art consommé de transformer une faiblesse en victoire force l’admiration !
Béatrice Beaufils