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Le chiffre de la faim

Le dernier rapport de la FAO (Le Monde, 31 octobre 2006) témoigne d’un nouvel exploit statistique : il y a sur terre 854 millions d’affamés. D’abord, on s’étonne qu’on arrive à les compter à un million près, soit une précision du millième, alors que la population d’un pays relativement facile à recenser comme la France, n’est connue qu’avec une marge de l’ordre de un pour cent. A fortiori, l’imprécision sur la population mondiale est sûrement bien plus grande. Ainsi, on saurait compter ceux qui ont faim mieux que les autres !

Mais, l’invraisemblance ne porte pas que sur la précision. Chaque fois qu’un tel chiffrage nous est proposé, posons la question : « comment le sait-on ? » Imaginons-nous un instant qu’une enquête mondiale ait été faite, y compris dans les régions les plus inaccessibles pour cause de climat ou de guerre. C’est-à-dire, précisément les régions où il est le plus vraisemblable que les populations souffrent d’un manque d’approvisionnement. Ou bien, à défaut d’enquête, que la FAO, comme souvent les organismes internationaux, ait compilé les données transmises par les États. Ce qui suppose qu’ils le sachent (et, là aussi : comment ?), qu’ils aient répondu et qu’ils aient été sincères. Un pays en désordre politique avoue-t-il que sa population en souffre ? L’évidente incertitude sur ce chiffrage est telle que la comparaison avec une estimation précédente (820 millions dans les seuls pays en voie de développement, contre 823 il y a quinze ans) ne permet sûrement pas de se prononcer sur l’évolution, ni même sur la stabilité.

D’autre part, devant un tel chiffrage, il faut aussi se demander ce que ça veut dire : comment est défini ce qu’on mesure ? Autrement dit, qu’est-ce qu’un « affamé » ? Entre ceux qui meurent effectivement de ne pas manger, ceux qui souffrent de carences graves, ceux qui ne mangent pas toujours à leur faim, etc. pour arriver aux suralimentés, tous les intermédiaires existent : où place-t-on la limite ? Là, nous avons dans le rapport une définition : un « affamé » est quelqu’un qui dispose de moins de 1900 calories par jour. Et, la question demeure : comment mesure-t-on ça ? Comment apprécie-t-on la ration alimentaire des gens ? Ceci, pas en moyenne pour tout un pays (on imagine que, connaissant la consommation totale de blé, de légumes, de viande, etc. et connaissant par ailleurs le nombre de calories par gramme de chaque, on pourrait calculer le nombre total de calories mangées par la population tout entière), mais bien en regardant comment c’est réparti d’une personne à une autre.

Et pour finir, deux remarques : d’une part, le besoin calorique n’est peut-être pas le même pour un Lapon et pour un Congolais. D’autre part, quand on sait que les régimes « basse calorie » prescrits en diététique sont parfois de l’ordre de 1500 calories/jour, on se dit que 1900 n’est pas une contrainte très exigeante, qu’à ce niveau on n’est pas littéralement « affamé » et on s’étonne alors de ces modestes quelque 800 millions : on se serait attendu à beaucoup plus.

René Padieu